« Le Centenaire du Dictionnaire »

Arbre – Maison – Jardin – Nature – Ciel !

Marbre – Greffon – Gratin – Aventure – Pastel ?

Macabre – Jargon – Bassin – Confiture – Eternel…

Palabres – Plastron – Levain – Bavure – Carrousel.

Candélabre -Abandon – Alexandrin – Flétrissures – Mortels !?…

Aaahh !… Les mots… Que de mots ! De jolis mots ! 

Encore et encore… Enfouis sous une couverture cartonnée, 

Consignés par centaines de folios. Reliés. Numérotés…

A l’abri dans un gros volume.

Oublié… 

C’était un vague soir d’automne. 
Sur les boulevards, personne. 
Et moi, seule au huitième 
Assise sous ma tabatière, 
La lampe et son rond de lumière 
Sur le cahier ouvert m’éblouissant les yeux.


Depuis des années, (des dizaines d’années), traînait, esseulé,

Sur une tablette dans l’angle obscur d’un grenier envahi de poussières,

Un dictionnaire…

Conservant, taiseux, nuits et journées,

Dans la pénombre de la soupente, sous sa couverture bistrée, 

Ses lignes de vocables reliés contre son dos enluminé et toilé.

Pas un doigt n’avait effleuré, fût-ce du bout de l’ongle,

Depuis très longtemps, sa tranche dorée.

Pas une main, flâneuse, flatteuse, n’était venue, du revers,

Effleurer le volume épais de trois mille sept cent vingt neuf pages

Pourtant assidûment consultées, naguère…


Ces feuillets veloutés et soyeux n’avaient plus connu d’index curieux, 

Affairé, les explorant; avide, les tournant d’un froissement délicieux;
Cherchant le substantif adéquat; son orthographe; ses synonymes.
Tout ses jours et ses nuits avaient goût amer d’une vie homonyme,
Ignoré des scribes et conteurs il restait là, reclus, muselé, retenu;
Traînant parmi les bibelots et babioles ménagères mises au rebut, 

Comme fondu de désespoir sur son bancal dressoir rongé de vers;

Où posé par distraction il se tenait en équilibre et un peu de travers.


Sa vie de glossaire depuis alors s’étiolait, perdant toute essence; 

Les milliers de mots qui le définissaient n’avaient plus existence,
Et s’évaporaient. Dans le vide. N’ayant plus rôle ni fonction ni sens.


Chaque matin, quand dans le clair-obscur sous la charpente,
Par la vitre mate des pluies récentes immiscées aux fientes

Et aux mousses de cornières exhalant senteur désagréable,

La lumière du jour scindait la foule de particules impalpables,
Traversant ces résidus de riens de son mince rayon de clarté,

Les activant en une muette course-poursuite sans les heurter,
Lui, rêvait, à de meilleurs temps où son pauvre exil se romprait.


Rarement, pour ne pas dire jamais car cela n’est point vrai;
Rarement la porte rabattante ouvrant aux escaliers se levait;
Rarement l’ampoule suspendue au fil gris et grêle descendant
Du faîte obscur comme surgissant du néant soudain s’allumait;
Rarement, pour ne pas dire jamais, quelqu’un, enfin, paraissait.


Lors de ces pingres visites son cœur de dictionnaire, ému, s’activait.

Cognait. Anxieux… Impatient de pouvoir de sous sa liseuse cartonnée,
Libérer les mots pour en faire des phrases et dire de lui ce qu’il en est.
Mais pas un ne parvenait à sortir pour développer, expliquer, partager,
Ce qu’avait de désespérant, d’affolant, son statut de lexique claustré

N’ayant place ni utilité; voué à l’abandon en un mutisme solitaire, forcé,
Lui qui de tant de verbes, d’adjectifs et d’articles pouvait se réclamer.


En ces rares occasions où le battant s’ouvrait d’un geste nerveux,

Laissant passage à l’un ou l’une, venu, au hasard, errer en ces lieux

Reprenant espérance, se voulant convaincant, victorieux, il s‘égosillait :

– “Hé ! Pssst ! Par ici ! Hé ! Regardez moi ! Me voilà ! Je suis là…

– « Abandonné depuis toutes ces années, aphone.

– « Ici ne vient jamais personne… 

– « Hé ! Ne partez pas déjà ! Je suis là, plus loin, oui, voilà, vous y êtes… 

– « Tournez vous, je suis posé de guingois sur la sellette…

– « Mais non, mais non, pas par là-bas, vous vous éloignez !

– « Venez ! C’est par ici ! En fin de soupente. Allons, faites un effort !

– « Peut-être pourrais-je vous servir ? Vous être utile encore ?

– « Vous satisfaire de mes vocables ? Vous renseigner ? Vous inspirer ?” 

Mais sa peine, tant éperdue que perdue se perdait en silence qui pas même ne retentit,

Car ses monologue et cris n’étaient qu’exclamations muettes se déroulant en son esprit.

Lexical. 

Et entre ses pages…

Que pour les entendre il eût fallu feuilleter.

En se tournant vers lui.

En consultant son langage.

Mais de tout ces temps écoulés depuis déjà, est-il jamais passé, son message ?


Il n’y comptait pas.

Car jamais.

Car si las… 

Et n’avait nul repère pour archiver les instants s’évadant,
A chaque fois où l’unique ampoule à nouveau s’éteignant,

Le silence sous la charpente se rétablissait pour longtemps.


Alors il pleurait… Et d’entre ces milliers de feuillets,

Les uns les autres serrés dans leur monologue muet,

S’échappait en un flot continu, rythmé, cadencé, 

En un sanglot d’amertume et de chagrins mêlés,

Un long et lent discours de larmes. Versifiées…


C’était un vague soir d’automne 
Sur les boulevards, personne 
Et moi seule au huitième 
Assise sous ma tabatière

La lampe et son rond de lumière 

Sur le cahier s’élargissant,

Me levant, pressée soudain, les emportant. 

Ils me suivirent, clairs, éphémères,

Se mouvant, des ombres esquissant…

Le long du chemin jusqu’à l’échelle au bout d’un interminable couloir

Que je gravis, silencieuse car seule comme coutume de matin à soir,

Puis soulevant la lourde trappe, passant, tête première, dans le grenier,

J’allumais l’ampoule pour y mieux voir un fatras de lézardes du passé,

De souvenirs froissés. Fanés… Et un guéridon vieillot, tristement penché, 

Sur lequel, en porte-à-faux, tel un antique écrin rescapé d’un sinistre, 

Ou un coffret égaré… Ou un volume épais aux allures d’ancien registre.

Ereinté d’attente il s’était assoupi,
Recroquevillé sur ses pages. D’ennui.
Quand subitement, la lumière jaillit !


Une incursion de plus sans dessein ni effet
Sur son sort de lexique solitaire. Condamné.
Ou l’occasion d’enfin partir. D’ici. S’enfuir.

S’éclipser. S’échapper. Briser l’enfermement.

Faire l’impasse sur son sinistre bannissement.

Trompant son chagrin il se berçait de baratins.

Se racontait des évasions. Réinventait son destin. 


Car voici qu’une nouvelle fois, comme de nulle part surgie,
Née d’un miraculeux espoir, jaillissant d’entre les oublis,
Une forme longiligne sur les murs de briques et de crépis
Se dirigeait, courbée sous la potence, résolument vers lui. 

De surprise il s’arrêta, net, de penser. Stupéfait.

Ceci n’étant pas possible… Cela ne se pouvait !

Pour sûr, pris de soliloques, voilà qu’il fantasmait…

Mais la forme s’approchait. Se précisait. Se penchait
Et d’un geste précis, d’une main décidée, le soulevait
De sur la sellette où toutes ces années il croupissait.

Une main s’emparait de lui, comme jadis, le faisait vibrer.

Une main le prenait. L’enveloppait. Et daignait le manipuler. 

Sous le coup de ce bonheur brutal, inattendu, il faillit crier.


Une main sans impatience ni brutalité s’intéressait à lui;
Une main respectueuse et déférente s’informait de lui.
Une main lui semblait-il, au toucher chagrin; en détresse;
Une main vibrante de solitude et empreinte de tristesse
.

Curieux, et à la fois inquiet, il se tenait coi.

Lorsque sa couverture en un crissement attestant des années,
S’ouvrait au frontispice;

Que l’index pointait la dédicace manuscrite autrefois déposée,

Tracées à l’encre d’Or;

Puis descendait plus loin, plus bas dans la page encore, 

Pour enfin s’arrêter, figé, comme interdit, hypnotisé…

Le malheureux dictionnaire, désespéré, se mit à trembler. 


Que se passait-il ? Que signifiait ce recul ?

En quoi aurait-il déplu ? Pourquoi ce scrupule ?

Que signifait cet étonnement ? Cette indécision ?

En quoi consistait ce revirement ? Cette hésitation ?

Sans doute n’était-il pas l’objet que l’on recherchait…

Mais il n’eût loisir d’échafauder de sombres désespoirs; 

Ni ne connut la peur de se retrouver sur son dressoir;

Ni ne se vit dupé d’un canular; ni victime d’une erreur

Ne fut renvoyé d’un geste moins soigneux que tout à l’heure.


Car la main l’emportat dans un sursaut vif. Et adroit.

Il vit s’éteindre la lampe. Entendit se fermer la trappe. 

Suivit les marches raides de l’escalier menant vers le bas 

Sans savoir ni pressentir la nature du fatum qui le happe.

Et d’aboutir sur une table en un vague soir d’automne

Sous une tabatière dans une étroite chambre de bonne

Surplombant des boulevards où ne circulait personne…

 

(Au mitan d’un rond de lumière, au huitième, dans les combles.)

 

Où il fut épousseté sagement avant qu’une plume ardente, d’un trait,

Sans attendre, d’une écriture penchée, ciselée de pleins et de déliés,

Chargée d’encre noire, sur la page de garde, s’appliquait à calligraphier :

“Octobre 1999” 

Juste sous la mention :

Octobre 1899 pour la présente édition.” 

C’est de la sorte que lui fut annoncé son centenaire 
Qu’il avait passé pour moitié de sa vie de dictionnaire 
A se morfondre, baillôné, dans un silencieux grenier.


Alors il riait… Et d’entre ces milliers de feuillets,

Les uns les autres serrés dans leur monologue muet,

S’échappait en un flot continu, rythmé, cadencé, 

En un éclatement de joie et de bonheur mêlés,

Un long et lent discours de charmes. Versifiés…

MandraGaure – Tongrinne – Première Version (même titre) datée d’Août 2000 – Initialement écrit à l’occasion et à l’attention de la fête du Village – Déclamé en la salle communale par l’auteur – Présenté ultérieurement en classes primaires de Sombreffe, Tongrinne, Gembloux, Gentinne, Chastre et à l’occasion du Salon du livre 2001 de Ligny.

Retravaillé entièrement ce jour, 30 juillet 2014, à Marchienne-au-Pont.

Illustration : Jan Vermeulen « Livres et Instruments de Musique » – Beaux-Arts Nantes

Source : « du côté de chez grillon du foyer« 

Une étoile si bleue…

Par delà les chemins connus, ceux qu’empruntent les manants, les passants, les marchands et les chevaux aux charrettes attelés, en marge des sinueuses sentes de terre dont les poussières, les cailloux et les herbes folles regorgent d’empreintes de semelles, de crachats et de sueurs perdues dans l’effort de marcher, au-delà de ces horizons parfois camouflés par des haies puis soudain dévoilés en liseré sur les terres et que bien des regards ont scruté pour y apercevoir le prochain clocher, une butte familière ou un toit de chaumière, il est un sous-bois… Que nul ne fréquente. Que personne ne voit. Caché des regards, évité de jour et craint le soir…

C’est là que s’est déroulée une histoire devenue légende. Qui, selon ce qu’il en est dit, s’est passée sous la lune lors d’une de ses nuits d’apogée.

Pour y accéder, à ce sous-bois, il faut s’armer de patience, de témérité et de résistance. De pugnacité aussi pour se décider, dans cette zone de jachères, à affronter les hauts chardons dressés sur plus d’un mètre de profondeur en bord de forrière, pareils à une armée de robustes vigiles dont les épines contondantes et bien affûtées décourageraient quiconque d’avancer. Mais nous n’en sommes… Et avançons… Et puisons dans notre audace la  persévérance, aguerris d’avoir pu franchir les premières lignes de ce front nous nous aventurerons aux prises avec des lianes de ronces enchevêtrées, qui debout, qui couchées, telles un inextricable filet de mailles serrées de végétation hostile et dense étalée à la manière d’un tapis au sol ou, dressée, échevelée, pareille à une clôture et épaisse comme un mur de donjon, vous dépassant de plus d’une tête et ne se laissant ni prendre ni arracher sans vous égratigner et vous blesser jusques à sang.

Enfin, si alors vous êtes parvenu à vous frayer un passage, vous foulerez au pied, et contre toute attente, un moëlleux couvert de mousses d’un vert sombre et brillant, rutilant même sous les rayons de la lune que les fières branches des grands hêtres laissent filtrer doucement. Alors, devant vous voyez, se dresseront les ruines d’une bâtisse de ferme ancienne, silencieuses et abandonnées, dont les toitures, les portes et les murs, envahis de lierres et de vigne vierge, furent le théâtre d’évènements étranges que l’on se raconte de par le pays mais dont nul ne sait le vrai… Et personne, depuis lors, à ce que l’on dit, ne s’est aventuré par ici.

Là où se déroulèrent les faits, il y a bien longtemps, la nature a repris possession des lieux et seuls les biches, les sangliers, les chevreuils, les lièvres, les écureuils et tous les oiseaux ayant établi nidation alentours y viennent se désaltérer à la source qui coule là, pas loin devant vous, écoutez, regardez, elle chante à vos pieds… Et alimente le ru qui serpente en contrebas.

Le temps passant, l’histoire est devenue un conte. Nuancé de larmes, de bleus et d’ors…

Toutefois, et en dernière recommandation, pour le pouvoir comprendre ce conte, vous devez vous rendre en ces lieux à la vingt huitième nuit du calendrier lunaire… Car ce n’est qu’alors, en nocturne, quand l’astre est à son sommet, que vous pourrez entrer dans la magie des lieux et remonter le temps jusqu’à cette nuit d’autrefois où se déroulaient les évènements que je m’en vais vous narrer, ci-après :

C’est dans cette clairière cachée au milieu du touffu et du feuillu de végétations sauvages que se dressait jadis une ferme, isolée, solitaire, à l’écart du village et de ses habitants. Ferme où vivait une famille avec quatre enfants parmi lesquels Flo, l’aînée, qui avait 11 ans.  

L’aînée. Qui lavait, récurait, cirait, rangeait, raclait, tordait, nettoyait tout au long de la journée. Et encaissait des coups de poings et de trique partout où elle passait. Elle était l’enfant d’une famille de rustres besogneux sans égards ni tendresse. Dont le père, toujours fulminant, rentrait tard le soir des champs où il cultivait et des bois où il coupait. Dont la mère, chaque année engrossée, toujours à grogner et rouspéter, toujours ceinte d’un méchant tablier, travaillait du matin jusque loin en soirée à s’occuper des vaches dans les étables, des cochons dans la porcherie, des trois chevaux de trait, des volailles du poulailler et du potager tout en élevant sa pecquée de marmots nés les uns à la suite des autres et qui serait au nombre de neuf s’il n’y avait eu les deux pertes en couches et les deux mort-nés. Depuis ses cinq ans Flo fut mise à contribution pour toutes les tâches ménagères et n’avait pour sa vie d’enfant tout simplement « pas l’temps ! ».

Mais Flo n’exigeait rien. Taiseuse par habitude, soumise par usage et modeste par coutume elle vivait ses journées dans le rythme austère qu’était le sien comme celui de tous depuis que nés. Sauf qu’elle était la plus grande et la seule sur qui ses parents pouvaient s’appuyer.

–       « Si seulement elle avait été un garçon…» ne cessait de maugréer sa mère.

Peu de soins et d’attentions, beaucoup de besognes, d’isolement et de punitions étaient le lot journalier de la petite fille.  Comme tous elle recevait le pain, et le beurre que l’on mettait dessus, comme tous elle mangeait à la table du soir sa ration de soupe et de potée au lard mais en sa qualité d’aînée elle était rompue à toutes les basses besognes que l’on exigeait d’elle.  Elle fut enrôlée à la manière d’un forçat dans une carrière ou comme un conscrit dans une armée.  Comme un condamné sur une galère elle n’avait à dire rien et devait exécuter.  D’ailleurs elle se taisait et exécutait sans poser la moindre question, sans jamais élever le ton, sans se plaindre ni penser s’insurger, jamais.  Elle dormait peu et souvent restait tard dans la nuit sous le regard vigilant de son père qui, une fois les travaux domestiques terminés se mettait en devoir, pour plaire à monsieur le curé, de lui imposer les lettres en lui donnant à gratter, de sa plume, des feuilles lignées. Alors, dans le silence des soirs et le chuintement de l’eau sur le feu, dans la bouilloire, elle s’acquittait de cette tâche comme d’une pénitence, sa main allant et venant, suivant la plume traçant et crissant sur le papier, courbée à la table des repas, sous le néon, dans la cuisine, quand sa mère et les petits étaient depuis longtemps déjà couchés.

Sans doute elle se sentait désespérée par moments. Sans doute aussi qu’une révolte grondait en elle. Mais elle n’osait la manifester.  Car les coups tombaient partout sur son corps, au petit bonheur la chance, à mains nues, avec le ceinturon accroché à la patère ou avec le bâton, oui, les coups pleuvaient. Et Flo subissait. Et s’estimait néanmoins heureuse encore car elle savait qu’ailleurs, dans d’autres fermes, d’autres enfants comme elle vivaient le pire et pour certains pire qu’elle.

Elle n’avait qu’un seul espoir, ne rêvait qu’à une seule liberté.  Celle d’être enlevée de là où elle était pour aller ailleurs. Peu lui importait où, mais ailleurs. Et elle y songeait si fort, en rêvait si tant qu’elle croyait vraiment qu’un jour cela lui arriverait. C’était son histoire secrète. Elle se berçait de ce rêve pour s’endormir et tout le jour durant le labeur et le soir quand elle restait punie par son père, à genoux sur la règle en fer, les bras en l’air et des poids dans les mains, elle supportait la sévérité et l’injustice de ces punitions grâce à son rêve qui se déroulait devant ses yeux comme s’il devenait vrai. Elle trimait.  Elle souffrait. Elle trinquait.  Mais dans le silence et l’isolement de sa solitance elle soliloquait, et attendait. L’heure de son enlèvement. Avec le temps elle s’était construit une carapace qui lui permettait de supporter bien des brimades, des récriminations et des maltraitances, des humiliations, des vexations et des offenses car dans son calvaire elle attendait, fervente y croyait, se demandant juste quand, enfin, tout cela se terminerait. Elle n’avait pas de vie. Elle était au milieu du bétail et des humains comme un petit animal domestique, une petite bête de somme sur laquelle ses parents se faisaient les ongles et les dents. Au fond de son cœur, malgré toutes ses douleurs, elle n’avait aucun doute qu’il y aurait une fin à tout « cela » un jour, que viendrait ce moment ou « cela » ne serait plus.  

Au secret de sa tête elle s’était construit, jour après jour, soir après soir, une légende dont l’héroïne était une grande étoile toute bleue, toute brillante et scintillante. Souvent, de nuit, quand elle se trouvait à écrire, penchée sur son cahier, elle relevait la tête et scrutait, avide, par la fenêtre de la cuisine, le ciel de nuit. Cherchant son étoile. Elle l’aurait bien juré sur le missel de monsieur le curé qu’elle la verrait un jour qui l’attendrait.  Alors elle lui parlait, tout bas dans sa tête lui racontait ses rêveries éveillées. Lui disait comment un soir elle devrait venir la chercher pour l’emmener là-bas, loin, très loin, en des contrées où les enfants ne pleurent ni ne souffrent. Elle lui racontait dans ses murmures et au travers de ses larmes combien elle voulait s’y accrocher pour toujours, pour le restant de sa vie entière, à son étoile bleue.

Ainsi se déroulait la vie de Flo, fillette mal aimée, triste et solitaire. La plus grande, la plus soumise. Maltraitée des fois par les petits, quelquefois si méchants, souvent victime de leurs sarcasmes et vilénies son esprit construisait et développait un monde étrange et quelque peu terrifiant.  Un monde calciné, saccagé, en lambeaux éparpillés. Dévasté. Car hormis la lumière de l’étoile bleue de ses songes éveillés, tout autour d’elle n’était qu’ombres et obscurités. Les travaux le nez au sol, les isolements dans la cave et au grenier, les punitions diverses, les coups, les cris, les frayeurs des ordres que sa mère lui lançait, les peurs face à son père quand il revenait le soir, épuisé et brutal, tout était triste et douloureux pour elle de sorte que ses rêves de nuit se peuplaient de créatures vilaines et méchantes, hideuses, redoutables, malodorantes et salissantes, rôdant autour de ses jambes, la faisant s’encourir terrifiée de peur, la faisant tomber dans des précipices profonds, profonds, très profonds.  D’où elle s’éveillait le cœur battant, haletante, en hurlant.  Et en sueur.

Elle finissait par en devenir muette pour ainsi dire. Son père la disait têtue, récalcitrante, indisciplinée. Sa mère la disait arrogante, fière, mal élevée… Et l’étau de l’exclusion et du rejet se refermait ainsi de plus en plus autour de la fillette et tandis que les autres, ses deux frères et sa sœur, jouaient, couraient, se régalaient de grand air, de campagne, de vie, de jeux et de rires elle se cloîtrait de plus en plus dans sa bulle de mutisme et n’avait pour distractions, de tous temps, qu’à trimer dans la maison, ou dans le jardin. Durant les rares moments de relâche elle traînait quelque  part dans un coin quand elle n’était pas punie, pour se faire oublier. Et dans son cœur meurtri l’évènement de son enlèvement tant attendu, tant espéré, prenait tellement forme qu’il lui semblait prendre vie.

Flo, pourtant, avait un secret. Réel. Et bien à elle. Elle possédait un coin tranquille que nul ne connaissait. Un endroit où jamais personne n’allait.  Plus loin par-delà les bâtiments de la ferme, au-delà de la grange, sous un appentis abandonné depuis de longues années, elle s’était fait un petit trou de pailles et de foin au milieu de folles brindilles d’herbes sauvages qui poussaient là et de débris de matériel agricole laissés pour compte et rouillés.  Il y passait parfois un vieux chat gris et roux, un matou pouilleux qui venait avec elle contempler et scruter les étoiles. Car c’est de nuit qu’elle y allait. Quand même son père dormait. A la faveur de l’obscurité elle se glissait hors de son lit, rampait le long du couloir de l’étage, descendait lentement les escaliers en prenant garde de ne faire craquer aucune marche, se faufilait vers l’arrière de la maison par le couloir de la cuisine et se glissait dehors, dans le noir, en passant par l’étroite fenêtre des toilettes, se hissant contre le mur comme un petit singe agile et léger, laissant la fenêtre entrebâillée pour pouvoir y remonter plus tard au retour et longeant les soues elle trottinait jusqu’à l’enclos où elle passait au travers des fils barbelés, tellement habituée à les écarter qu’elle ne s’y blessait plus guère et partait en courant, toute frêle dans sa longue robe de nuit blanche, et pieds nus, à travers les prairies jusqu’à l’appentis où, se hissant de la pointe des pieds sur les dents de la herse trainant là depuis toujours, elle s’installait, se calfeutrait dans son abri. Et songeait… Tandis que les autres dormaient. Jamais aucun d’eux n’y viendrait la chercher, elle en avait la certitude. D’ailleurs même son père avait peur de l’endroit et le prétendait hanté pour décourager quiconque d’y aller de sorte que tout le village en parlait et avait finit par le croire sans jamais plus qu’aucun villageois, ni même monsieur le curé, ne se hasardaient à s’en approcher.

Là, elle rêvait… A l’arrivée de son étoile bleue, et à son enlèvement.  Et elle scrutait le ciel, attentive comme une astrologue elle interrogeait les planètes, parlait aux étoiles, assurée qu’une nuit ‘cette chose là’ se produirait, sûre qu’une de ces nuits elle irait tout là bas, dans le royaume de l’étoile bleue, celle qui brillait en son âme et la hélait. Celle qui la prendrait avec elle, qui la ferait sauve car elle en serait sauvée.

Ce soir là il faisait tranquille dans les alentours.  Pas un souffle de vent, pas une brise, pas une goutte de pluie ne perturbait la nuit et la lune était toute pleine de lumière dans le ciel même si par endroits il se voilait de lourds et longs nuages noirs venus l’obscurcir. Flo s’était calfeutrée dans son abri et explorait le firmament en compagnie de son chat, accoudée à la minuscule petite meurtrière percée dans une des cloisons de l’appentis et regardait, les yeux droits dans la voûte céleste. Les nuages défilaient, lents, et semblaient s’effilocher, tremblants, en passant devant l’astre.

Soudain, Flo ressentait l’arrivée d’une bourrasque de grand vent. Quelques instants plus tôt pourtant, au sortir de la maison, tout était calme et serein mais voilà que d’inattendues rafales secouaient même jusqu’à l’abri où elle se tenait, faisaient chavirer jusqu’aux cimes des arbres plus loin dans la prairie et toutes les grandes herbes le long du ruisseau en contrebas. Rageur et violent, le vent sifflait et soufflait et paraissait vouloir emporter tout. La lune était régulièrement masquée par ces gros nuages qui ne cessaient de s’accumuler et la nuit se faisait noire d’encre.

–       « Il faut que je rentre, » se dit Flo, inquiétée, «papa pourrait se réveiller et peut-être avoir besoin de moi. Il faut que j’aille. Vite. Sinon je vais me faire punir gravement.»

Mis à part que son escapade ne soit découverte, Flo ne ressentait aucune crainte. Elle était curieuse surtout de voir se déchaîner si étrangement les éléments. Sortant de la masure et allait se poster à l’entrée, près de la porte condamnée.  Sa pâle et menue silhouette d’enfant se dessinait dans l’obscurité.  Sa robe de nuit blanche voletait autour de ses jambes et de son petit corps gracile, mais elle n’en avait cure.  Au contraire, cela l’amusait de le sentir jouer dans ses cheveux, soulever sa robe, la chassant autour d’elle pareille à des voiles hissées et claquant. Et Flo riait, toute seule dans la nuit, bousculée par cette tempête, sous la lune qui la regardait. Mais il fallait partir. Cela seul l’inquiétait.  Le vent augmentait en puissance et devenait féroce. Mais Flo riait aux éclats. Sa voix rivalisait avec les plaintes de la nature soumise aux gifles du vent et s’en allait ricocher contre les toitures des étables, et plus loin il lui semblait s’en allait jusqu’aux crinières des peupliers et des hêtres et peut-être, qui sait, jusqu’au clocher de l’église du village. Le souffle puissant chargé de poussières lui cinglait le visage et les jambes mais elle n’eût pas peur. Seule l’idée de son père se réveillant et découvrant son absence lui faisait courir des frissons d’épouvante dans le dos.

Brusquement, aussi vite que s’était levé le vent tout se calmait, tout s’apaisait d’un seul coup, tout se fit silence.  Plus un souffle. Plus une brise. Plus un murmure. Rien. Adossée contre le mur de briques, Flo relevait son visage vers le ciel, et étonnée le trouva tout changé.  Elle regardait la lune qui lui souriait à nouveau, remplie de lumière et c’est alors, oui c’est alors qu’elle la vit.  

L’étoile ! L’étoile bleue. Si bleue. L’étoile bleue dont elle rêvait depuis tellement longtemps. 

Et le ciel était tout éclairé, et tout illuminés les alentours , et la lune teintée de bleu elle aussi tout à coup.  Même le paysage semblait avoir changé.  Il était devenu bleu lui aussi.  Bleues les cimes des arbres, et bleue la prairie et bleus les toits de la ferme et des dépendances, et bleues même, elle les voyait bleues les tuiles des maisons là-bas plus loin, et celles de l’église dans le confin de la nuit sur l’horizon lui aussi bleui et le coq, non plus doré et brillant dans la lueur de la lune mais devenu bleu lui aussi et lançant, tel un faisceau, en myriades de rayons, comme un phare, ses reflets bleus sur la campagne et sur les bois tout autour.

–       « Oh !!! » Flo était subjuguée. « Comme c’est beau !… »

Même sa longue robe de nuit blanche était devenue bleue, toute bleue.  Elle tombait sur ses pieds nus pareils à une cataracte divine. Flo s’extasiait, battait des mains, riait et à la fois pleurait de joie et d’émerveillement.  Tout était devenu bleu et beau.  Elle n’en revenait pas.  Elle voyait la lumière l’inonder, la pénétrer, créer autour de sa silhouette un halo magique, floconneux, soyeux, vaporeux… Et tout bleu. En relevant à nouveau la tête elle regarda droit dans l’étoile.

–       «Là voilà ! Oh, comme ce serait bien,» soupirait Flo, «si je pouvais partir sur cette étoile et voyager pour toujours dans le ciel tout bleu assise sur une de ses branches si bleues…»

Tout à coup, et malgré l’incontestable présence de la grande étoile dans le ciel Flo n’y croyait plus trop, à son rêve. Un doute cruel et subit lui embarrassa le cœur.

–       « Une étoile ne peut pas descendre du ciel. Une étoile ne vient pas chercher les petites filles tristes sur la terre. »

Toute cette histoire n’était que le fruit de son imagination et de ses rêveries d’enfant solitaire. Cependant, voilà que justement l’étoile bleue grossissait et s’enflait et devenait grande, mais grande, très très grande. Mieux même, c’était tout comme si elle s’approchait. Et cette fois, Flo prit peur car en vérité son rêve se réalisait puisque l’étoile, toute grosse devenue, et bleue comme jamais, s’approchait de la petite fille. 

–     «Mais comment ? C’est peut-être un incident de la nature,» se dit-elle. «car comment donc une étoile pourrait-elle descendre de si haut et de si loin pour s’approcher des champs, et des bois et de moi ?»

A nouveau elle n’y croyait plus, n’y croyait pas.  Mais au moment précis où le doute s’insinuait dans son esprit, aussi subitement qu’arrivait la tempête tout à l’heure, tout avait l’air bien étrange, si insolite, si féerique autour d’elle. Magique à la fois qu’inquiétant.  Et Flo eût peur. Une peur d’enfant. Derrière l’astre qui paraissait avancer une longue traînée d’un bleu blanchâtre tapissait à présent le ciel.  Et c’était beau ! Tout était si beau ! Si bleu ! Flo battît des mains, exaltée, extasiée. Tremblante à la fois d’appréhension et de joie, toute emplie du mystère de cette beauté que le ciel lui offrait, émerveillée de ce spectacle que la nuit lui apportait, rien que pour elle, rien que pour son âme, rien que pour ses yeux. Rien que pour ses plaies…

Subjuguée, quoique perplexe, Flo s’éloignât de l’appentis et fit quelque pas au dehors, dans l’herbe dont la rosée, doucement, lui chatouillait les orteils et les talons.  Elle s’avançait, les bras tendus vers le ciel comme si elle allait pouvoir saisir l’étoile.  Mais celle-ci paraissait tellement loin encore.  Si loin. Inaccessible pour les enfants terriens.  Le léger bruissement des feuilles dans les peupliers et les hêtres lui murmuraient aux oreilles comme des milliers de petites voix. La vie, en cet instant, semblait à Flo douce et charmante et gentille et facile et dépourvue de menaces, de souffrances, d’angoisses et de doutes et de peurs.

Et voici que l’étoile bleue s’avançait vers la terre. Voici qu’elle s’approchait pour de vrai, de tout là-haut elle arrivait jusqu’aux pieds de Flo où, enfin, elle se posait, tranquillement et comme si cela lui était tout naturel, sur l’herbe. Et tout cela dans un grand remue-ménage de bleus. Et Flo ne connût aucune frayeur. Elle alla d’un pas lent, sans aucune hésitation, vers l’étoile et lui tendit la main. Son rêve était vrai ! Il  se passait là devant ses yeux.  L’enfant s’avançait vers l’étoile au point de la toucher du bout des doigts puis, de la paume, la caressa sur une des branches la plus proche d’elle, stupéfaite de constater que l’étoile n’avait aucune aspérité, aucune rugosité, que tout en elle était lisse, et tendre, et doux.  Et que non plus elle ne brûlait. La surface en était tiède et veloutée comme les joues d’un bébé.  Et Flo frémit. Et se sentit animée d’une secrète énergie. Elle recula de quelques pas pour contempler l’astre bleu venu lui rendre visite.  Et c’est dans ce recul, prenant distance ainsi, qu’elle le vit. Le jeune garçon sur une des branches de l’étoile, assis.  

Qui lui sourit.

Habillé d’un bel habit de soie et de satin, d’un bleu aussi bleu que l’étoile, ce qui le confondait avec elle.  Autour de son cou, attachée à un ruban de velours d’un profond bleu scintillait une minuscule étoile de cristal sertie de pierres de lumières bleus claires et translucides, cerclées  d’or, pareilles à une eau fraîche, limpide et pure. Tout dans les traits du visage du garçon lui était doux.  Ses yeux, son nez, sa bouche, ses dents, même ses mains qu’il levait vers elle dans un signe de bienvenue paraissaient à Flo souriants.  Et comme il était gracieux, comme il avait l’air précieux, comme il était joli dans son habit, assis, longiligne, confondu à l’étoile, comme faisant partie d’elle. Dedans l’étoile. Oh, il ne devait guère être plus âgé que Flo.

–       « Nous sommes à peu près de même taille. Et sans doute du même âge.» jugeait-elle.

Flo n’avait jamais accordé beaucoup d’importance à ses congénères.  Les garçons et les filles elle ne les connaissait presque pas puisqu’elle n’allait jamais à l’école, et quand certains d’entre eux, venus du village pour la cueillette des champignons, passaient non loin des prés et des enclos de la ferme ils ne faisaient que se moquer d’elle. Aucun d’eux n’était de ses amis…  Ils la conspuaient, la huaient, la ridiculisaient, lui lançaient des pierres même quand ils la voyaient mener les vaches aux pâtures et elle se cachait alors derrière la Brunette pour se dérober à leurs moqueries tout autant qu’aux projectiles qu’ils lui destinaient. Mais là, devant ce jeune garçon elle se sentait sans crainte ni défiance, au contraire, elle sentait grandir en son cœur et son âme une émotion profonde, un sentiment de tendresse et de douceur pour ce garçon assis tout habillé de bleu arrivé du ciel sur son étoile bleue. Comme tout cela était étrange. Comme tout cela était beau. Flo se sentait légère et joyeuse comme jamais elle ne le fut.

–       « D’où viens-tu ? » lui demande le jeune homme en inclinant légèrement le buste d’un geste aimable, se penchant ainsi au dehors de l’étoile, le visage tourné vers Flo.

–       « De là-bas… » répond Flo faisant un vague geste vers les étables et la chaumière.

–       « Qui es tu ? » lui demande le garçon.

–       « Je m’appelle Flo ! » lui répond l’enfant solitaire.

–       « Que fais-tu là ? » insiste encore le garçon assis sur l’étoile.

–       « Je t’attendais…  » lui répond Flo d’une voix tremblante.

–       « Ne t’en vas pas s’il te plaît… » ajoute-t-elle tout bas, timidement.

–       « Tu m’attendais ? » questionne le garçon, surpris.

–       « Oui… » dit Flo.  Elle exhale un long soupir et reprend :

–       « Depuis si longtemps. Si tu savais seulement… »

–       « Et comment m’as-tu découvert ? »  lui demande le garçon .

–      « Mais… » dit Flo surprise,  «…c’est toi qui m’as trouvée ! Il y a eu beaucoup de vent, puis le ciel a changé de couleur, la lune et les arbres et les maisons et l’herbe sont devenus bleus, et j’ai vu ton étoile là-haut toute belle et si bleue qui teintait le monde en bleu, et je l’appelais, l’espérais… Je voulais y grimper, m’y accrocher, je m’imaginais voyager dessus pour partir.  J’en faisais le vœu.  Et puis elle est arrivée près de moi et te voilà ! »

–       « Oh ! » dit-il avec un soupçon de drôlerie dans l’angle des yeux, « Il me semble que tu fais erreur.»

Alors Flo plongea ses yeux loin dans le regard du garçon qui reflétait une immense gentillesse et une profonde tendresse. Et se sentait confiante.

–       « Tu te trompes je crois oui… » continuait-il,  « Car vois-tu, pour que je sois parvenu à te trouver, pour que tu sois arrivée à me laisser te trouver, tu as du parcourir une longue route, un long et lent et solitaire et pénible chemin.  Et si tu n’avais pas l’âme claire, translucide et pure, transparente comme le bleu de mon étoile, je n’aurais pu te voir ni te sentir m’inviter à te rejoindre, et toi tu ne pourrais me voir même de tes propres yeux au milieu de tout ce bleu. »

–       « Mais bien sûr que je t’ai attendu ! » s’exclame Flo dans un vif élan craintif. « Et pour sûr que j’ai fait un long chemin et que j’ai l’âme claire et que je te vois bien ! Je n’ai jamais fait de mal tu sais, même si ils le disent, jamais ! Je n’ai même jamais tué ni une fourmi ni un scarabée ni même une araignée. Pourtant j’ai peur d’elles quand ils me punissent dans la cave. Mais jamais je n’en ai tué une seule d’araignée. » Et elle ajoute, plus bas : « Combien elle est belle ton étoile alors ! Et, dis-moi… Tu resteras ici, près de moi, longtemps ?… »

–       « Cette étoile est ma maison et je vais et je viens où je veux quand je veux puisque c’est en elle que je demeure ; » lui répond-il, « et que c’est elle qui me mène partout. Puisque c’est en elle que je vis et qu’ensemble nous voyageons dans les cieux.  Je dors en elle et elle me transporte. Dans tout l’univers… »

Il en avait de la chance ce garçon ! Flo ne ressentait aucune jalousie, au contraire, elle se sentait très épanouie. Et éblouie.  Et si heureuse aussi de pouvoir regarder l’étoile, si enchantée tout autant de pouvoir se mirer dans les yeux doux et profonds du garçon.  Les admirer, en remplir les siens, s’en nourrir.

–       « Peut-être que c’est cela, le bonheur, » se dit Flo et voilà que son cœur se mettait à cogner en dedans contre ses flancs à coups rapides et violents comme jamais il n’avait cogné dans sa poitrine, pas même dans ses pires terreurs, pas même dans ses pires douleurs… Il lui semble le sentir tressauter de joie contre ses côtes pour la toute première fois de son existence.

–       « Où voudrais-tu aller ? » lui demande le garçon assis dans l’étoile. 

Et le cœur de Flo bondit de plus belle. Peut-être qu’il aimerait l’emmener avec lui faire une ballade dans le ciel, ou même repartir avec elle pour faire des voyages, partout, avec lui ?… 

–       « Où ? » Flo soupire, hausse les épaules, s’accroupit sur le sol et lui raconte d’une voix ferme : « Mais… Partout ! Comme tu me l’as dis !  N’importe où ! Partout ailleurs qu’ici, voilà ! Dans le ciel, près de la lune, près du soleil, au dessus des rivières et des rizières et des mers.  Dans les vents et les tempêtes, dans les aurores boréales, j’en ai vu dans le grand livre d’images des aurores boréales, c’est si beau, et dans les couchers des soirs et sur les levers des matins ! Partout où tu voudras, mais ailleurs qu’ici ! »

En faisant un ample geste du bras Flo désignait tout ce que représentaient pour elle les lieux qu’elle souhaitait quitter. Son visage tout éclairé de lumière bleue reflétait sa détresse, son impossible bonheur.  C’est alors qu’elle se rendit compte que le jour à l’horizon se levait, que l’aube pointait et qu’il allait falloir rentrer là bas dans la clairière du sous-bois, dans la maison où elle  devra grimper l’escalier en catimini jusqu’à l’étage et retrouver son lit avant que les autres ne se réveillent et ne se lèvent. De lassitude, ses deux bras lui retombent le long du corps. Retourner là-bas… Et une insondable désespérance s’empare de la petite.

–       « Reviendras tu ? » demande-t-elle à la fois pleine de crainte et d’espoir au jeune garçon.

–       « Bien sûr je reviendrais ! Si tu le veux toi ! Tu me retrouveras toi-même et ici même ! Tu verras ! Et même mieux que cela.  Je serai là pour toi et tu me verras puisque tu viendras à moi ! Qui sait, même que tu m’appelleras… »

Tout en parlant il défaisait de son cou le ruban bleu dont il laissait glisser l’étoile de cristal et la tendant à l’enfant lui dit :

–       « Voici pour toi, en gage de notre amitié et de mon prochain retour. »

–      « Oooooh ! » s’exclame Flo dans un soupir ravi, toute rayonnante de surprise et de plaisir. «Un gage ! Pour moi ? Merci ! Je la mettrais à l’abri ta petite étoile, bien cachée sous le matelas de mon lit, et je la regarderais chaque soir en pensant à toi. Mais à présent il faut que je file, sinon mes parents vont se réveiller et je me ferais battre, c’est certain. »

Alors, à reculons Flo s’éloigne de l’étoile tout en saluant le jeune garçon, devenu son ami, du regard.  Il a pour elle un doux sourire. Et Flo s’en retourne dans le matin levant, courant, pareille à un petit fantôme dans sa robe de nuit blanche, foulant d’un pas pressé l’herbe mouillée, ne se retournant pas une seule fois.

Revenue dans la maison elle gravit, preste, les marches de l’escalier sur la pointe des pieds.  Et se hâte vers son lit pour s’y emmitoufler, grelottante de cette nuit exubérante, froide mais magique qu’elle vient de vivre. Juste à temps ! Le réveil dans la chambre d’à côté se met à sonner. Flo allait reprendre le bât de sa vie blessée pour une nouvelle journée. Mais elle n’était plus seule à présent. Elle avait un ami. Et il reviendrait ! Et elle le reverrait ! Et elle s’assoupit, paisible, gardant bien serrée dans sa paume droite la petite étoile de cristal et de diamants, toute bleue de lumières célestes et de promesses. Il allait revenir. Il le lui avait promit. Quand sa mère ouvrait la porte de sa chambre, lui criant de descendre préparer la table, Flo sautait de son lit sans fatigue ni lassitude ni appréhension.  Et c’est sans peur qu’elle enfile ses chaussons, va à la salle de bains se débarbouiller, s’habiller puis descend préparer les déjeuners.

Durant vingt longs jours et vingt longues nuits sans repos ni répit Flo ne put aller rejoindre la cabane pour y rêver.  Elle était harcelée jusqu’au soir et même tard, très très tard, de travaux et de pénitences et pas un moment ne lui était laissé pour respirer.  

Un soir, après la soupe, monsieur le curé était venu jusqu’à la ferme et avait tenu avec ses parents de longs conciliabules. Curieuse et inquiète, Flo s’était postée dehors, près de la fenêtre de la cuisine, pour écouter ce qu’ils racontaient. Une catastrophe !

       « Votre fille est en âge d’aller à l’école depuis longtemps. Vous ne pouvez la garder à la maison comme servante, c’est inconvenant ! »

       « Inconvenant ?! » grondait papa. «Inconvenant ! Voyez-vous ça comme vous m’parlez m’sieur l’curé ! Comment voulez vous qu’nous arrivions à m’ner toutes ces b’sognes adon ? Nous avons trois enfants en bas âge, ma femme est grosse à nouveau et moi j’suis aux champs tout l’long des jours ! Nous avons b’soin d’l’aide de not’fille aînée, rendez vous compte allons ! Elle n’a rien à faire à l’école, elle n’y apprendra qu’du vent ! J’lui fais faire ses exercices pour écrire voilà qu’est d’jà bien suffisant. »

       « Certes non ! » s’exclamait le curé. «Vous avez le devoir de scolariser votre fille monsieur Descourt, sans quoi je me verrais dans l’obligation de faire venir les gendarmes !!! »

       « Des gendarmes !? Chez nous ? Ah tudieu ! Comme vous y allez m’sieur l’curé ! » l’interrompit sa mère. « Il n’en s’ra pas question ! Et nous prend’not’aînée, ça, pardi, ne s’pourrait qu’à la condition qu’vous nous trouviez un garçon d’ferme et une servante ! Mais qui les paiera ? Pas nous toujours bien !»

       « Je peux vous aider pour cela, mais cette enfant ne doit plus continuer comme ça !» dit le curé déterminé, « Il y a le fils de Gloria, il est un peu simplet mais il connaît les tâches, et Gloria pourra remplacer votre fille dans la maison en échange du logis et du couvert pour autant qu’ils soient à l’église et aux vêpres chaque dimanche. »

       « Non ! » fut la réponse tonitruante de son père. « Nous n’voulons d’personne chez nous ! Surtout pas Gloria et son bon à rien d’fils. Il n’a pas tout’sa tête m’sieur le curé, vous l’savez fichtre bien ! D’ailleurs, c’t’école, c’est pô nous qui la payera ! Rapport qu’on n’a pas d’quoi ! Un dédommag’ment oui, v’la c’qu’il faudrait nous donner pour nous prend’not’fille ! Vous l’savez bien que nous n’avons pas d’quoi d’jà nous nourrir et nous chauffer tout’la famille. »

       « Pour cela soyez sans crainte. Cette enfant est une sauvageonne. Il faut l’éduquer, la discipliner, lui apprendre les devoirs civiques et religieux, il faut qu’elle apprenne les travaux d’aiguille et les prières. Nous pourrions la placer chez les religieuses du couvent de la Sainte Croix. Elle y fera des travaux de lessive et de nettoyage en échange de son apprentissage. Toutes les jeunes filles travaillent là-bas. Vous n’aurez qu’à vous en louer, plus tard. »

Un grand silence tombait dans la cuisine. Quelques raclements de gorge, quelques soupirs, des bruits de goulot de bouteille puis de verres, et enfin la conversation qui reprenait sur un ton plus apaisé. Mais dehors, le long du mur près de la fenêtre, Flo n’écoutait plus. Elle grelottait de terreur. Les religieuses du couvent de la Sainte Croix ?! Mais quelle horreur ! Il n’y avait là que des orphelines ! Et toutes habillées de la même manière, en long, et en gris… Puis maman lui a toujours dit que ces nonnes là étaient très méchantes et qu’elles battaient les enfants. Oh non ! Cela ne se pouvait. Et puis Gloria, et son fils, qu’allaient-ils venir faire ici ? Ce garçon lui, il était sourd comme un pot, et bête comme une poule, puis sale encore, comme un crapaud. Et totalement construit de travers avec ça… Quelle aide apporterait-il à son père celui-là ? Et puis cette Gloria, toute grosse comme elle était, comme une truie qui n’avançait pas, et qui avait la mauvaise langue disait maman; comment allait-elle pouvoir s’en accommoder elle, si bourrue, si sévère, si vilaine parfois, et toujours à la bourre ?

       « De toute façon, » se dit Flo, « son couvent à monsieur l’curé, j’n’irais pas. Du tout ! »

Les chaises se bougeaient dans la cuisine…

       « Sommes-nous d’accord ? » demandait le curé.

       « A condition m’sieur l’curé…» répondait le père, «…qu’il ne faille rien payer pour la gosse, que nous ayons les deux chariots d’foin d’chez les Médard à l’hiver chaque année et que Gloria et son rej’ton aillent s’installer dans l’sous-pente et s’contentent des mêmes rations qu’Flo nous sommes d’accord oui. Puis d’toute manière, comme vous l’dites bien, c’t’enfant a b’soin d’discipline et d’correction sinon il n’en sortira jamais rien d’bon. Quand viendrez-vous la chercher alors ? »

       « Ah ! Enfin ! Vous voilà devenu raisonnable, » répondait le curé en toussotant. « L’école recommence juste après la Pâques, dans une semaine. Je vous enverrais une des filles de la Sainte Croix pour prendre la petite. Elle n’aura pas besoin de linge. Le couvent fournit tout aux demoiselles qu’il héberge. »

Le reste de la conversation se noyait dans un lourd brouhaha pour Flo. Ses oreilles sifflaient, bourdonnaient, ses tempes battaient, elle se sentait nauséeuse et courait aussi vite qu’elle le put jusqu’à la porcherie où son estomac, sous l’effet de crampes et de spasmes, se vidait de ce qu’elle avait avalé au souper. Après quoi, suante et tremblante, elle reprit le chemin de la maison, passa par derrière et rentrait dans la cuisine. Papa et maman était encore assis à la table. Monsieur le curé était parti.

       « Où étais-tu passée ? » criait maman. « Tu d’vais laver les assiettes du repas ! Pourquoi ne l’fais-tu pas ? »

       « J’étais dehors maman. J’avais entendu des bruits dans les soues, je pensais qu’un des cochons se serait enfui. »

       « Nous n’ferons jamais rien d’bon avec toi ! » tonna son père, « Mais…» grinçait-il entre ses dents, «tout ça va changer à présent ! Tu vas aller à l’école ! Chez les filles de’la Sainte Croix ! Où tu s’ras dressée ! Là-bas tu verras, t’apprendras à obéir et à marcher droit ! Durant plusieurs années qu’tu’auras à travailler et à filer doux. Nous n’avons plus l’moyen t’faire obéir. Ni celui de t’nourrir. D’autant qu’tu ne fais pas grand’ouvrage pour ce qu’tu coûtes en nourriture ! »

Et sa mère d’ajouter, de son air renfrogné et mécontent :

       « Ah bah ! Là qu’t’en as d’la chance toi dis le ! Tu vas pouvoir t’instruire pour l’heure ! Comme les riches !…»

Le cœur anxieux, les jambes tremblantes, Flo se martelait l’esprit de questions. Elle ne comprenait pas. Elle marchait droit lui semblait elle, et filait doux.  Et travaillait. Et tout ce qui lui était demandé, elle le faisait.

       « Je ne veux pas aller au couvent papa ! » Flo pleurait à chaudes larmes. « Les religieuses sont méchantes, c’est maman qui l’a dit ! »

       « Tu f’ras c’qu’on t’dira d’faire et sans discuter ! » répliquait son père tout en lui administrant une claque en pleine face. « V’là pour la peine ! Et à présent monte dans ta chambre qu’on n’t’entende plus ! »

Sanglotant, elle gravissait l’escalier. Elle faisait pourtant toujours tout ce qu’on lui demandait. Ne rechignait jamais. Elle rêvait aussi, c’est vrai, des fois, les mains dans l’eau de vaisselle ou de lessive, ou sur le manche du balai, elle rêvait.  Elle rêvait à en oublier de frotter ou de balayer. Elle rêvait, encore, des fois, sur les longues pages de punitions écrites dont sa main droite tant souffrait. C’est vrai, elle rêvassait comme le disait maman. A en avoir oublié un jour de verrouiller les battants d’une soue à cochon. Quelle pagaille ce jour là ! Ou à  renverser le seau de lait, une fois que c’était arrivé, mais c’était une fois de trop, elle ne l’oubilierait jamais la raclée qu’elle a prise de son père, où elle avait été se blottir près de Brunette durant toute la nuit, pleurant à s’en arracher les côtes, réchauffée par son haleine dans son cou… A en oublier de remplir les lignes du cahier de son écriture penchée.  Appliquée. Alors papa criait et se fâchait, la houspillait ; alors papa l’injuriait et la bourrait de coups pour qu’elle avance.  Ou déchirait sa page et elle devait recommencer tout, les yeux brûlants de fatigue, n’y voyant plus clair…

Tout en montant vers sa chambre elle entendait encore la grosse voix de papa qui disait :

       « Y’a plus d’chemin avec elle. C’t’une bonne chose que d’nous en séparer et d’la placer. »

Et Flo eut peur.  Peur de ne jamais plus revoir l’étoile si bleue, ni le jeune garçon si aimable aux yeux de miel et d’océan.  Qui lui parlait avec tant bonté. Et lui souriait. Elle se fit des remontrances et des promesses tout en se glissant dans son lit après avoir récupéré sous son matelas son étoile de cristal. Elle se maitriserait se dit-elle, jusqu’à ce qu’il revienne. Elle tiendrait sa bouche cousue.  Elle ne répondrait pas, elle ne répondrait  plus. Ne montrerait pas sa peur.  Elle jouerait à merveille l’enfant docile, courbée, soumise et bornée, comme ils la voulaient, elle jouerait même les stupides dans l’espoir que l’on ne veuille pas d’elle dans l’institution de la Sainte Croix.  Qu’on la trouve trop bête, trop arriérée pour y aller.

Mais depuis la visite de monsieur le curé, son père avait changé. C’était comme si toute sa méchanceté brusquement était venue à la surface, à moins qu’il ne soit fâché qu’elle partait, ou triste, après tout c’était son papa… Et même maman, qui pourtant parfois avait des moments de tendresse pour elle, voilà qu’elle était devenue son ennemie, la harcelant à l’ouvrage, lui jouant des tours vilains comme de la faire trébucher dans le purin en tendant devant ses pieds le manche de la pelle à racler. Et Flo souffrait. Mais s’appliquait à se faire petite, obéissante et disciplinée. Hélas, malgré ses efforts à leur plaire, un soir où maman était en colère contre Flo qui n’avait pas fini de peler les pommes de terre elle fut battue par son père dès qu’il était rentré, à coups de ceinturon sur les fesses, les mollets, dans le dos, partout et même jusque dans le cou. Elle avait beau hurler, il n’arrivait plus à se maîtriser. Et maman regardait. Sans broncher. Jusqu’à ce que Flo s’affaissait sur le sol, immobile, inerte, presqu’inconsciente.

Elle ne sut jamais comment elle se retrouvait dans son lit. Elle s’y réveillait au cœur de la nuit, suffoquant encore de douleur, ramassée en boule sous ses couvertures, les larmes lui coulant des yeux sans s’arrêter.

C’est cette nuit là qu’elle se décidait. Cette nuit là qu’elle s’en allait. Déterminée à ne plus revenir jamais, dût-elle mourir de froid et de faim dans l’appentis. Elle extirpait à grand peine son petit corps meurtri et douloureux, rempli de blessures et de bleus de sous les couvertures et allait, pieds nus et au creux de l’obscurité, longeant le couloir vers la cuisine jusque dans les toilettes et se hissait avec peine vers la petite fenêtre. Cette fois cependant Flo ne la laissait pas entrebâillée.  Elle la fermait ! Avec le loquet, par l’interstice aménagé dans le montant, passait par les soues à cochons, et sans un regret, sans un regard en arrière, allait jusqu’à la prairie où elle se trainait plus qu’elle ne marchait jusqu’à la cabane abandonnée, décidée à ne plus revenir chez eux là-bas, jamais.  Plus jamais ! Dans sa menotte, bien serrée, elle tenait son étoile de cristal, son talisman. Et se fit promesse que jamais aucun d’eux, pas même le curé, pas même les nonnes, ni ses frères ni sa soeur, ne la convainqueraient de revenir, et au pire ne la retrouveraient vivante. Elle resterait là cachée dans l’appentis jusqu’à ce que son ami revint sur l’étoile bleue, elle y dormirait et même y mourrait de faim s’il tardait, elle s’en fichait bien. Ce qui était certain c’est qu’elle n’avait plus ni l’idée ni le goût de revenir dans cette maison. Elle décidait de leur tourner le dos à jamais., Son dos si douloureux, son dos zébré de coups de ceinturon dont la peau brûlait à se frotter contre le tissu de sa robe de nuit tandis qu’elle se hâtait tant qu’elle pouvait à traverser en boitillant le pré baigné de la clarté lunaire.  Ses yeux étaient de braises, ses larmes de plomb.  Les joues cuisantes de honte, de souffrance et de colère aussi, et les dents serrées, et les poings brandis, elle se jurait que jamais non, jamais plus elle ne retournerait dans cette famille, dans cette maison. 

       « Jamais plus ! » 

Elle murmurait. Ses pieds nus foulaient l’herbe encore tiède du soleil de ce début de printemps.   La lune était pleine.  Les arbres tranquilles.  Une grenouille coassait.  Le silence lui répondait. Arrivée près de l’entrée de l’appentis elle se mit à genoux contre le mur et levait les bras au ciel. De longues et lentes larmes ruisselaient sur son petit visage tourmenté par la souffrance et le chagrin. Elle ouvrait ses mains et la petite étoile de cristal se mit à briller sous les rayons de la lune, toute bleue et scintillante dans la nuit. Et elle appelait de tous ses vœux sa grande étoile bleue et son ami qui la conduisait.

Et le vent se levait, comme l’autre fois.  Il rugissait, soufflait, s’affolait, exhalait une haleine douceâtre de fin de journée, s’agrippait à la robe de nuit de Flo, la faisait claquer autour de ses épaules, de ses jambes et sur ses hanches. 

Puis tout se calma. Puis tout devint beau. Et bleu. 

Et l’étoile si bleue apparût une nouvelle fois dans le ciel.  Et tout devint lumière.  Et le garçon, souriant, était assis sur une des branches comme en un sofa, de la même manière que l’autre fois.  Il la regardait, des mains la saluait et lui demandait :

       « Où étais tu de ces nuits passées ? » 

Alors Flo se laissa choir dans l’herbe.  Alors Flo se racontât, bouleversée de tristesse à la fois que transportée de bonheur.  Des heures durant lui semblait-il se raconter.  Tandis que le monde entier tout autour paraissait figé.  Comme si les aiguilles avaient cessé leur course sur le cadran du temps.   La lune ne changeait plus de place.  Les nuages ne circulaient plus dans le ciel. Pas un souffle de vent ne remuait dans les branches des hêtres et des peupliers. Il semblait que la nature entière, de la source au ruisseau plus loin, en contrebas, l’écoutait. 

Et Flo parlait.  Elle pleurait de même et racontait.  Absolument tout. Les maltraitances, les privations, les violences, les humiliations, les injures et les coups de ceinturon ainsi que la méchanceté des enfants du village et la menace de l’institution des filles de la Sainte Croix.  Tout ce qui lui donnait goût de s’en aller loin ailleurs, hors d’ici, pour toujours, elle le racontait au jeune garçon, son ami, qui l’écoutait sans dire un mot, attentif. Et toute la campagne autour, éveillée de son sommeil, semblait suspendue à ses lèvres, le ciel lui-même vibrait sur une corde tendue et ténue où venait s’accrocher et se briser en mille éclats et sonorités sa petite voix d’enfant, tantôt sanglotant, tantôt vibrant de colère, tantôt triste, si immensément, si démesurément triste. Flo parlait comme jamais elle ne l’avait fait. Elle se confiait pour la première fois de sa vie, assise par terre sous la clarté de la lune pleine, inondée de la lumière bleue de l’étoile et enveloppée du regard brillant et bienveillant de son nouvel ami.

Et les nuages, et les arbres, et le ciel et la lune, et l’appentis, les toitures et le clocher plus loin et même le coq, et le jeune garçon tout vêtu de bleu qui lui souriait bien installé sur la branche de l’étoile bleue, et même le vieux chat tout galeux, ce sauvage, venu se rouler en boule à ses pieds., écoutaient. Tous faisaient silence pour entendre la terrible histoire de la petite fille niée, blessée, maltraitée, offensée, rejetée. Et rien ne bougeait. Les nuages restaient à l’affût d’un signe pour reprendre leur lente course, les cimes des arbres restaient figées comme si plus un souffle ne pourrait les remuer.  La lune semblait en apesanteur, comme accrochée par des fils invisibles au firmament. Et les yeux du vieux matou étaient devenus des fentes au travers desquelles un rai ardent témoignait de son intense concentration.

       « Tous m’ont trahi !  Tous m’ont menti ! »  Criait Flo dans ses pleurs. «Et je ne veux jamais plus y retourner. Car il y a pire encore que tout ce que je t’ai dis ! Ils veulent me dresser, durant de longues années, disent-ils, mais je sais que de là où ils me mettront je n’en reviendrais jamais. Car là-bas, à Sainte Croix, tu ne pourras pas venir me voir. D’ailleurs, s’ils savaient mon secret, ils m’enfermeraient, me cloîtreraient.  Et ça, j’en mourrais ! »  

A ces mots Flo lève les bras devant elle  et implore le jeune garçon.

       « Je t’en prie, laisse  moi m’asseoir sur ton étoile, laisse moi m’installer tout près de toi.  Je me ferais toute petite. Je ne te dérangerais pas. Je t’en supplie, emmène moi d’ici ! Loin, très loin d’ici.  Je ne veux plus revenir jamais ! Sinon, je préfèrerai mourir encore que de devoir subir un  jour de plus ce qu’ils me font endurer..» 

Sa voix éclate contre le ciel, se fendille contre la lune, s’éparpille dans les étoiles alentours. 

 

       « Si je t’emporte dans mon voyage, tu ne reverras jamais plus ni ton clocher, ni les toits des maisons.  Ni les arbres.  Ni la source. Ni le ruisseau.  Ni la prairie, ni l’appentis.  Ni non plus tes amis. Ni non plus les autres, tes frères, ta sœur, tes parents.  Ni Brunette ni ton chat non plus.»

       « Je n’ai pas d’amis ! » réplique Flo tout de go, « Il n’y a personne qui se soucie de moi. Monsieur le curé peut-être, mais il ne me manquera pas. Il ne m’a jamais demandé si je souffrais. Pourtant, je pense qu’il le sait. Jamais je n’ai raconté à personne tout ce que je viens de te dire car je n’ai personne à qui le dire, personne pour m’entendre le dire, personne pour m’écouter.  Et je me fiche bien de leur clocher, et de leur toit, et de leur école. Et des nonnes aussi !  Et je me ris des autres à présent, mes frères, ma sœur et mes parents. Puisqu’ils ne peuvent que me faire du mal c’est qu’ils ne m’aiment pas.  Et les arbres, la source, le ruisseau, les prairies, nous en verrons depuis le ciel aussi dans tous les voyages que nous pourrons faire sur ton étoile si bleue. Et puis même Brunette tiens, et mon matou, tu m’as dis que tu pouvais aller partout, où tu voulais. Nous reviendrons par ici leur refaire un calin, si tu le veux bien de temps en temps. C’est avec toi que j’ai envie de partir. S’il te plaît, emmène moi, j’en ai toujours rêvé, j’ai toujours imaginé qu’elle viendrait un jour me chercher l’étoile si bleue, je savais qu’elle viendrait m’enlever d’ici pour ne plus jamais revenir, oui, c’est vrai, c’est tout ce que je désire tu sais.  Ne plus revenir ici jamais. Laisse-moi venir avec toi. Sauve-moi d’ici. C’est en ta compagnie que j’ai l’envie de partir, je veux m’assoir près de toi, je veux ne faire plus qu’un avec toi.  Me confondre comme toi au bleu si bleu de ton étoile. Et partir dans le ciel là d’où tu es venu. Et oublier toutes mes peines, toutes mes larmes, tous mes chagrins. Et nous serons amis pour toujours, et nous voyagerons parmi les rayons du soleil et de la lune, et notre amitié sera semblable aux vents du Sud, et aux berges des rivières, et je n’aurais plus forme. Je deviendrais comme toi, une voyageuse du ciel.  Je te prie, emmène moi avec toi.»

Son cri de supplication s’élevait haut dans la nuit. Le visage de la petite fille était envahi de larmes, de lourdes et chaudes larmes roulant, s’entrechoquant, tombant littéralement comme des clous hors de ses yeux, rebondissant presque sur ses pommettes avant de s’étaler sur ses joues et s’écraser sur son menton et sur son corsage dont le blanc s’irisait du bleu de l’étoile.

Et tout à coup la nature et les éléments reprennent leur cours alors que s’élève la voix du garçon à son tour :

       « Il faudra alors que tu acceptes les ondes éternelles du firmament.  Es tu prête ? »

       « Oui ! » dit Flo sans hésiter  » Oui ! Je suis prête ! Donne-moi ces ondes éternelles et je les porterais pour pouvoir partir avec toi sur ton étoile.  Ne me laisse pas ici au milieu des méchants qui ne font que de me lacérer le cœur, de me déchiqueter l’âme, de me noyer dans mes propres pleurs. »

Alors le jeune garçon défît de son cou lle ruban de velours bleu dont, lors de sa première visite, il avait détaché l’étoile de cristal et tendit sa main ouverte vers la petite. Celle-ci y déposait le bijou serti de pierres de lumières claires et translucides, pareilles à une eau fraîche, limpide et pure et toute cerclées  d’or. Il enfilait l’étoile sur le ruban, se penchait vers l’enfant pour le lui passer autour du cou. Sans hésitation, sans peur aucune, Flo baissait la tête pour qu’il puisse lui mettre le bijou.

Les dernières larmes de Flo brillaient sur ses joues comme de petits feux follets tandis qu’elle levait son fin visage vers l’étoile toute bleue. L’étoile de cristal désormais pendue à son cou se mit à briller de tous ses feux, et les pierres scintillaient comme des gouttes d’une eau savoureuse, fraîche, parcourue d’ondes lumineuses.  Et la petite fille, tout à coup, se senti le cœur, la pensée et l’âme rafraichis. Des larmes brillaient encore sur son visage dans la clarté bleue de l’étoile mais ses pleurs et ses sanglots s’étaient arrêtés. Elle se savait en paix. D’un geste infini et lent le jeune garçon se penchait vers Flo et de ses doigts si délicats cueillait les derniers pleurs sur ses joues, les posant sur ses propres yeux tout en lui disant dans un murmure :

       « Tu ne pleureras plus. Je te le promets. » 

Une vague de lumières bleues se mit à tournoyer autour de la petite fille et vint s’emparer d’elle, la soulevant, l’enlevant de l’herbe où elle se tenait encore accroupie, pour la transporter et la poser, légère, aérienne, à côté du jeune garçon sur la branche de l’étoile si bleue. Durant un court moment, en un instant fugitif, tel en un rêve, elle se sentit soudée et protégée contre le flanc du garçon si gentil, si doux, si tendre, sécurisée par sa douceur vaste et son regard profond. 

Enfin Flo se sentit s’élever, se fondre, se confondre aux bleus de l’étoile et à la clarté de la lune puis elle se sentit se transformer pour devenir pareille à des milliers et des millions d’étoiles, à une pluie d’étoiles, à une galaxie d’étoiles, et elle riait. Aux éclats. Et s’abandonna à ce rire et ne connût aucune peur. Et du ciel jaillissait vers les arbres, vers la source et le ruisseau et vers le village et son clocher le rire cristallin de l’enfant martyrisée qui venait de se confier, entière, aux éléments célestes.

       « Ne pleure plus s’il te plait. » entendit-elle encore lui dire le jeune garçon près de son oreille. « C’est fini à présent. Tu n’es plus de ce monde de méchants ! » 

Et l’Etoile. Si Bleue. Très haut dans le ciel. Parmi les éternelles. S’élevait. Toute brillante.

Et à jamais…

L’on dit qu’à quelques jours de là une battue fut organisée par les gendarmes dans les campagnes et jusqu’au ruisseau à la demande de monsieur le curé auprès de monsieur le maire pour retrouver la petite Flo, disparue, mais qu’ils en rentraient bredouilles. Comme les villageois se défiaient à outrance de l’appentis, il fallut bien faire venir des gardes-civils de la ville pour l’explorer afin d’avoir le cœur net.

L’on dit qu’elle y fut trouvée comme endormie, toute pelotonnée et toute roidie dans sa blanche robe de nuit, gardant contre son sein, serrée dans l’une de ses petites mains, une délicate étoile de cristal.

L’on dit que le charpentier du village fabriquait un magnifique cercueil tout blanc serti de petites étoiles pareilles à celle-là, et qu’il lui fut choisi par les gens du village qui tous participaient à son prix, une belle dalle de marbre de carrare qui fut garnie de pierreries tout autour et qu’au beau milieu de celle-ci la petite étoile retrouvée dans le poing serré de la fillette fut enchâssée.

L’on dit qu’après une grand-messe durant laquelle la chorale des filles de la Sainte Croix lui adressait ses plus beaux psaumes, dans le jardin à l’arrière de l’église, au pied d’une absidiole, face au soleil levant, elle fut ensevelie.

L’on dit de même que monsieur le curé priait pour elle tous les jours jusqu’à son décès et que la pierre tombale de Flo est encore à ce jour fleurie en permanence.

L’on dit aussi qu’à chaque lune pleine le matou revenait hanter la tombe en geignant et qu’un jour au matin on l’y retrouvât mort.

L’on dit encore qu’une grande étoile aux rayons bleus brille dans le ciel durant les nuits claires et que ses lumières intenses se reflètent en myriades de scintillements bleus au centre de la petite étoile sur la dalle de marbre blanc sous laquelle repose Flo, l’enfant martyre endormie.

L’on dit que les parents Descourt furent mis au ban du village, que leurs enfants furent placés à l’orphelinat, et que le sou-bois, avec le temps et les saisons reprenait sur la clairière ses pleins droits.

Puis l’on dit que la ferme tombait en ruines et en poussière d’année en année. Et enfin, que plus personne, pas même un chasseur, n’y a jamais remis les pieds…

MandraGaure

 

Il y a des Noëls -(4)-

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Il y a des Noëls sans rires …

(Quatrième épisode)

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Et le père Noël de ce temps ?… Nous l’avions laissé au coin de la rue lui, au moment où une dernière fois se retournant il saluait Adélie s’en allant …

Comme vous avez bien du le comprendre, petits et grands, ce père Noël là ben, c’en était un parmi d’autres de père Noël comme il en traîne tellement de par les rues et les magasins et les complexes commerciaux en ces temps de fête. Nous le savons tous bien sûr qu’il n’y en a pas, de Vrai père Noël …

Quoique …

Faisons une distinction …

Entre les uns et les autres …

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Notre brave père Noël de ce soir là était un bon bougre à la retraite qui pour quelques deniers de plus agrémentant l’escarcelle de fin de mois et la tirelire des fêtes, se prêtait volontiers à cette figuration qui lui était demandée chaque année.  En vérité il était pauvre lui aussi ce père Noël là… Il vivait avec son épouse dans un petit appartement en banlieue de la ville, un de ces appartements que l’on octroie, à grand peine d’ailleurs, aux couples retraités vivant d’une maigre pension leurs vieilles années… Seulement, ce père Noël là (il me serait difficile de parler des autres car je ne les connais pas) ce père Noël là dis-je était un homme au grand cœur… Et il aimait créer le rêve et la magie dans les âmes des enfants quand il faisait son travail de père Noël … C’est pour cela qu’il aimait de le faire … Les soirs de Noël il aurait pu tout aussi bien se trouver un autre petit travail d’appoint, mais il se délectait des mois à l’avance de pouvoir se promener au coin des rues du centre son panier de Cougnolles à la main et de créer des sourires et des regards émerveillés dans les visages des enfants, et des parents aussi …

D’ailleurs il ne travaillait pas que comme père Noël… Nenni ! Au début du mois de décembre il se prêtait aussi bien volontiers au joli métier de Saint-Nicolas et il faisait cela depuis des années déjà … Les enfants en étaient ravis tout comme lui … Il avait un acolyte, un vieil ami, Aristide, qui l’accompagnait et remplissait le rôle du père Fouettard … C’était un bonheur de les voir ensemble … D’autant que ce père Fouettard  là, plus gentil que lui il n’y en avait pas … Et puis c’était un Africain celui-là !… Un vrai de vrai !… Avec le grand sourire tout blanc et la voix toute grosse, il était doux et gentil comme une guimauve des temps de fêtes … Il n’avait pas besoin, lui, de se barbouiller la figure avec de la suie ou du bouchon brûlé, non que non !… Lui il était tout noir, comme il se doit pour un père Fouettard … Et puis aussi, lui, il était le complice des enfants … Pas question de remontrances ni de manigances pour leur faire peur et loin de là !… Au contraire … C’était lui qui parvenait à faire taire les larmes et les cris des petits qui eux étaient bien plus impressionnés et avaient bien plus peur du grand Saint-Nicolas que de son comparse !… Et voilà !… Les deux amis, ainsi, s’amusaient à jouer un tour aux vilaines croyances selon lesquelles le père Fouettard était là pour fouetter et punir les gamins !… Et tout cela se passait fort bien et dans la plus grande des sérénités …

Mais revenons à notre histoire …

Car là, vous voyez, je suis en train de vous égarer …

Que faisait-il là au coin de la rue ce père Noël ?…

Eh bien, il travaillait pour l’association des commerçants du centre de la ville, tout bonnement !… Et il distribuait des Cougnolles fabriquées par une chaîne de boulangeries, payées par l’association qui avait coutume, pour attirer les clients chaque année, de déférer au coin des rues commerçante du centre ville un père Noël avec un panier et de grandes Cougnolles qu’il pouvait distribuer aux passants…

En général il ne pouvait en donner qu’une par famille de Cougnolle, c’était le contrat…

En plus il devait assortir chaque Cougnolle d’un bon d’achat permettant au bénéficiaire d’aller dans l’un des magasins du centre s’acheter soit une bûche de Noël ou un gâteau, des pralines, des fleurs ou encore un bijou, un vêtement, de la lingerie, un sac à main, un jouet, une paire de chaussures, un appareil électroménager, une télévision, un instrument de musique, des livres, de la vaisselle, du linge de maison, un voyage en Papouasie, du vin, des bibelots, des tableaux, des antiquités, ou encore des légumes et des fruits primeurs, du gibier, des charcuteries, des délicatesses, des spécialités de bouche, des produits de beauté, du parfum, des lunettes, des séances chez le coiffeur ou alors des repas même dans l’un ou l’autre restaurant et encore tant et tant d’autres choses que l’on pouvait acheter dans le centre de la ville, impossible de tout énumérer tant il y en a…

Ce bon d’achat était assorti de ce que l’on appelle une ‘ristourne’ sur le prix, à condition bien sûr de l’utiliser dans l’un des commerces du centre de la ville…

Bien trouvé n’est ce pas ?…

Cela se nomme du « Marketing »…

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Et il faut savoir que pour le « Marketing », tout les astuces sont bonnes à prendre … Les spécialistes du marketing ce sont des gens qui connaissent bien les âmes et les cœurs des humains, ne croyez pas, et ils savent tout aussi bien comment tirer parti des émotions, des sensibilités, des nostalgies et des rêveries qu’engendrent dans les âmes humaines les fêtes de fin d’année … Ils y excellent … Ce sont des virtuoses en la matière … D’ailleurs, ils font des études pour cela !… Ces études portent des noms savants et redondants comme « Planification de marché » ou encore « Psychologie de la clientèle » ou aussi « Analyse du consommateur » ou « Investigation des besoins » et aussi « Stratégie de l’attractivité » ou même « Isolation de la cible » et même, tenez vous bien, « Investigation de l’environnement écologique, culturel, démographique et socio-psychologique de l’acheteur »… Qu’est ce que vous dites de ça hein ?.. Vous avouerez !… Et sachez que la liste de ces dénominations barbares est bien longue encore mais bref nous n’allons pas trop nous en préoccuper… Juste je tiens à souligner, comme vous pouvez le constater, que ce  sont là de vrais plans de campagne et de bataille pour ‘agresser’ ‘séduire’ et ‘circonvenir’ le chaland dans le but de le pousser à acheter même, ou surtout, s’il avait l’idée de ne pas acheter ou d’aller acheter ailleurs…

A y bien regarder l’on se croirait en permanence en temps de guerre…

Car ce sont là des termes bien agressifs vous en conviendrez…

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Mais le père Noël lui, loin d’être un sot, se moquait un peu de tout cela… Il faisait bravement ce qui lui était demandé, revêtait le costume de son métier de père Noël et s’en allait au coin de la rue distribuer les Cougnolles comme il lui était recommandé… Et vu qu’il était un père Noël un peu particulier et très indépendant dans son esprit et ses opinions, il ne se privait pas de garder en lui, tenace, le droit de décider de donner plutôt une Cougnolle de plus là où il en percevait le besoin, le vrai besoin, ou la vraie nécessité non seulement de faire plaisir mais aussi, mais surtout, d’apporter un peu de luxe dans les chaumières où les Cougnolles n’étaient pas denrées courantes durant les fêtes de Noël… Car ces Cougnolles étaient très chères s’il fallait les acheter… Même, et il le savait fort bien le père Noël, même si celles qu’on donnait « gratuitement » étaient fabriquées à partir de matières premières de moindre qualité et traitées avec moins de soins que le reste des marchandises que vendait la boulangerie, néanmoins, elles étaient fort bonnes et faisaient plaisir à ceux qui les recevaient.

Or donc, voilà notre père Noel qui s’en allait de par les rues son panier à la main au moment où nous le quittions… Sa rencontre avec la petite Adélie l’ayant profondément bouleversé, vous pouvez l’imaginer …

Il lui restait encore deux heures à officier et c’est d’un pas nonchalant qu’il allait dans les rues du centre tout en songeant intensément à la petite fille et à tous ce qu’elle lui avait raconté de ses rêves et de ses soucis de vie d’enfant …

–      « Ho Ho !.. »

Se dit-il,

–      « Une liseuse et un livre des Mille et une Nuits, voilà ce qui lui faut à notre petite Adélie …  Voyons voyons voyons voir… »

Bougonnait-il dans sa barbe…

–      « Comment allons nous procéder ?… »

Bien sûr, le père Noël avait dans sa poche un tas de bons d’Achat … Mais bien sûr aussi que ces bons d’achat ne lui appartenaient pas … Il ne pouvait en faire usage lui-même et d’ailleurs cela était parfaitement contraire aux recommandations… D’autant que nous avons à faire à un père Noël fort scrupuleux et honnête qui même s’il estimait bien souvent qu’un petit nombre de gens avaient bien de trop à dépenser eu égard à la multitude de gens qui en avaient trop peu, il se gardait bien d’agir autrement que dans la loyauté et la probité.

–      « Epineux problème mon ami Stéphane. »

(Il s’appelait Stéphane le père Noël)

–      « Epineux problème que voilà mon vieil ami !… Tu as promis à cette enfant de lui apporter une liseuse pour sa maman et ce joli livre de contes dont elle rêve, tu as tout intérêt à mettre en œuvre pour y parvenir !… Sans quoi, foi de père Noël, tu n’oseras plus te regarder dans le miroir demain matin pas vrai ?.. »

–      « Vrai ! »

Se dit-il…

–      « Bien vrai ! »

Tout en devisant ainsi avec lui-même il était arrivé dans la rue du centre la plus fréquentée où se trouvaient les boutiques les plus huppées et les plus chères … Et voilà notre bon père Noël qui se met à faire du lèche-vitrines !…

Vous savez bien, le lèche-vitrines, c’est une de ces pratiques également inventées, vantées et entretenues depuis quelques décennies par le marketing et qui consiste à se promener sur les trottoirs et à ne pas rater le moindre magasin pour regarder ce qu’il propose dans ses étalages… Une pratique fort prisée de nos jours, et bien sûr fermement conseillée par les commerçants qui se font fort de décorer leurs devantures pour les rendre les plus attractives et séduisantes possibles… C’est ainsi que l’on finit par se marcher sur les pieds devant les vitrines, par se cogner les uns dans les autres, ou alors par se retrouver à babiller tout seul devant la grande vitre parce que le copain, la copine, la maman ou le papa sont déjà partis plus loin et que l’on ne s’en est pas aperçu…  Si, je peux vous promettre que des choses pareilles arrivent, j’ai déjà assisté à semblable incident …  Qu’à cela ne tienne…

C’était bien curieux de voir le père Noël se livrer à cette pratique, lui qui en général se trouvait plutôt au milieu des trottoirs afin que les gens puissent le bien voir…  Ainsi flânant et observant le contenu des vitrines il cherchait à repérer le magasin où la petite Adélie aurait bien pu admirer cette fameuse liseuse en soie avec de jolis dessins dont elle lui parlait d’un ton si élogieux…

–      « Une liseuse … »

Se dit le père Noël …

–      « Cela ne pourrait se trouver que dans un magasin de lingerie ou de vêtements de nuit … Et en général les deux se vendent dans le même commerce … Voyons, un magasin de lingerie où donc y en a-t-il un ?… Ah !… Voilà !  Je me souviens à présent … Dans la rue de la Fontaine si si !… Il y en a même deux là dans la même rue !… Et ils sont l’un en face de l’autre ou presque …. »

Hâtant le pas, il se dirige alors vers la rue de la Fontaine et s’arrête devant le premier magasin de lingerie qu’il rencontre pour en scruter la vitrine …

–      « Bon !… Elle m’a bien dit la petite qu’elle avait vu la liseuse en vitrine… A moins qu’elle ne soit vendue et qu’il ait fallut prendre celle qui était exposée je devrais bien la retrouver … Si seulement elle m’en avait dit la couleur … »

Rien de ce genre dans le premier magasin.  Soit, il traversait … Sur le passage il avisait une famille qui arrivait vers lui avec trois enfants et s’arrêtait à leur hauteur pour leur donner une Cougnolle et un bon d’achat… Car, tout de même, là au beau milieu de tous ces commerces, il ferait tant qu’on le voit déambuler paisiblement comme tout public sans s’acquitter de sa tâche.  Il ne tenait pas à perdre son emploi de père Noêl. Une fois les Cougnolles distribuées à la famille, il se dirigeait vers le magasin et ô merveille… Là… Juste là au milieu de l’étalage se trouvait un mannequin, vous savez bien de ces poupées habillées qui ressemblent à s’y méprendre à de vrais humains et que l’on installe dans les vitrines, un mannequin donc sur lequel, ô joie … Une belle liseuse en soie, couleur ivoire, brodées ton sur ton de belles grandes arabesques … La liseuse avait un col en velours très fin, une ceinture bien longue et de jolies manches larges s’évasant vers le bas …

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Le père Noël fit entendre un :

« Ho ! Ho ! Ho ! »

Sonore, comme il sait si bien le faire, tellement il était content d’avoir déniché ce qu’il cherchait… A ce moment précis, sur le trottoir pas loin de lui, arrivaient une vieille dame et une plus jeune lui donnant le bras. Il s’avançait vers elles et leur demandait :

–      « Que diriez-vous d’une bonne Cougnolle assortie d’une bonne œuvre mesdames ?… »

–      « Une Cougnolle ?… Une bonne œuvre père Noël ?… »

Demandèrent les deux dames un peu étonnée …

–      « Je vais vous raconter un secret … »

Leur dit alors le père Noël …

–      « Voyez vous, il se trouve que j’ai pour mission ce soir même, d’apporter un cadeau à la maman d’une petite fille qui n’a pas assez d’argent pour acheter ce dont elle rêve. Alors je me suis dit que je le ferais bien moi-même. Seulement moi, je suis un vieux monsieur, je ne suis pas de ces contrées vous ne l’ignorez, et il m’est très difficile d’estimer exactement les tailles et les spécificités des genres en matière de lingerie féminine. Comme vous le savez, je ne suis que le père Noël, et dans mon pays là-bas très loinain je n’ai guère à m’inquiéter de ce genre de choses. Mon domaine, en particulier, ce sont les jouets… Alors j’aurais aimé vous demander si vous pourriez me conseiller dans l’achat d’une liseuse.  La petite fille dont je vous parle, elle s’appelle Adélie, m’a demandé de lui apporter une jolie liseuse en soie avec des dessins brodés dessus pour l’offrir à sa maman. »

Et se tournant vers la vitrine pour leur montrer le vêtement il ajoute :

–      « Je suppose que voilà l’habit dont il s’agit mesdames ? »

–      « En effet !… »

Répond le dame la plus âgée,

–      « Il s’agit bien d’une liseuse et elle est en soie avec des broderies main d’ailleurs … Une fort belle pièce s’il en est !… »

–      « Et fort coûteuse aussi .. ; »

Avait à dire d’un ton pincé la dame plus jeune.

–      « En effet … »

Fit le père Noël tout abasourdi d’en lire le prix.

–      « Mais père Noël … »

Demandait la vielle dame,

–      « Comment allez vous faire pour acheter un vêtement de pareil prix ? »

–      « Bah … »

Répondait celui-ci …

–      « Nous verrons bien une fois arrivé dans le magasin.  Je vous remercie fort aimablement mesdames, la bonne œuvre est accomplie. J’ai à présent toutes mes assurances concernant l’habit et je vous offre en récompense non pas une mais deux Cougnolles pour la peine ainsi que quatre bons d’achat que vous pourrez utiliser dans n’importe quel magasin du quartier. »

–      « Bien merci à vous père Noël ! »

Dit la vieille dame en riant comme une jeune fille. L’autre dame de ce temps rangeait prestement les deux Cougnolles dans le cabas qu’elle avait à la main et glissait tout aussi vite les bons d’achat dans sa poche de manteau et tout en reprenant le bras de la dame plus âgée lui dit :

–      « Allons à présent maman, il est temps !…  Nous sommes attendues ! »

–      « Minute ma fille … »

Dit la dame âgée.  Et fouillant dans son porte-monnaie elle en retirait un gros billet de banque pour le tendre au père Noël.

–      « Mais maman !… »

Dit la fille toute suffoquée,

–      « Que fais-tu là ?… »

–      « Une bonne œuvre ma fille voilà ce que je fais !… »

Lui répond sa vielle mère,

–      « Une bonne œuvre vois-tu je fais là ! Tenez père Noël !… Allez donc acheter cette jolie liseuse pour la maman de votre petite protégée !… Ce  n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de faire plaisir … »

–      « Mais madame … »

Dit le père Noël tout confus,

–      « Pas du tout voyons, pas du tout du tout !… Là n’était nullement mon intention !… Je vous demandais seulement de vouloir bien me confirmer que l’habit était une liseuse, mais je trouverais dans mes économies de quoi contenter la petite fille … Ne vous en faites aucun souci … Non non non … Je ne puis accepter ce don !… »

–      « Prenez ! »

Insistait la dame.

–      « Prenez cet argent et n’en faites cas !…  J’ai toujours rêvé d’avoir une aussi jolie liseuse moi et je serais ravie de savoir qu’une maman malade la trouvera sous le sapin au minuit ou demain matin !… Allons mon brave homme, je sais bien moi … »

Lui dit-elle en lui faisant un clin d’œil de connivence,

–      « Que dans votre lointain pays là-bas vous n’êtes pas plus riche que bien des gens d’ici !… Permettez moi de faire ce geste … Vous m’en rendrez le cœur heureux !… »

–      « Mais enfin maman, je ne te comprends pas !?… Pourquoi insister !?… Tu mets cet homme mal à l’aise voyons, ne le vois-tu  pas ?… Il ne t’a rien demandé ?… Cesse donc de te faire remarquer !… De quoi te mêles tu enfin ?… »

–      « Je me mêle, ma fille, de ce qui me regarde !… »

Dit la vieille dame sur un ton sans réplique,

–      « Et pour autant que je sache je suis encore en mesure de le faire. Ce serait plutôt à toi que je devrais faire cette observation !… Cela ne te regarde nullement si je décide, oui ou non, de permettre au père Noël de s’acquitter de sa mission ! »

–      « Hola !… »

Fit le père Noël de plus en plus ennuyé par la tournure que prenaient les évènements …

–      « Holà mesdames !… Ne vous fâchez donc point !… Je suis vraiment confus de vous avoir dérangé pour si peu … »

–      « Mais … Vous ne nous dérangez nullement mon ami ! »

Répond la vieille dame d’un ton décidé.

–      « Ce que je fais de mon argent et de ma vie ne regarde que moi  jusqu’à nouvel ordre je crois !… Tenez … »

Ajoute-t-elle en lui tendant à nouveau le billet :

–      « Prenez cet argent !… Il y en a bien assez pour que vous puissiez aussi envisager d’acheter un cadeau pour la petite fille je pense !…  Et puis vous avez aussi des bons d’achat !…  Veux-tu bien rendre ces bons d’achat au père Noël ma fille ? Il en a plus le besoin que nous et il en fera bon usage n’en doutons pas !… »

Demandait-elle en se tournant vers l’autre dame qui les reprit à contrecœur et faisant une grimace d’une franche laideur en fouillant dans sa poche pour les rendre au père Noël.

–      « Voici le tout père Noël !… Et l’argent, et les bons d’achat !… Je suis sûre qu’ils vous serviront !… »

Toutes ces fantaisies sur le trottoir avec pour principal protagoniste un père Noël en grande tenue un panier de Cougnolles au bras n’avait pas manqué d’attirer du public … En vérité, autour des deux dames et du père Noël se tenaient nombre de gens curieux ou simplement compatissants qui regardaient de tout leurs yeux et écoutaient de toutes leurs oreilles. Même d’ailleurs la commerçante du magasin de lingerie et les deux vendeuses étaient venues s’ajouter sur le pas de porte.  Il est vrai que voilà spectacle que l’on n’a pas coutume de voir… Improvisé et inattendu !… Le père Noël, à la vue de tout ce monde, se sentait un peu dépassé mais se reprenant vite fait il se mit à distribuer aux uns et aux autres et des Cougnolles et des bons d’achat … Tout le monde pouvait en profiter, pour le coup, c’était la fête dans le quartier … Enfin, quand finalement la mère et la fille furent parties et les badauds dispersés, le brave père Noël rentrait dans le magasin. Quelle ne fut pas sa surprise de voir la vendeuse venir vers lui avec deux jolis paquets superbement emballés dans du papier rouge et or et enrubannés de velours rouge scintillant.

–      « Voici père Noël !… La liseuse pour la maman, et une jolie robe de nuit pour la petite fille !… Nous avons pris un modèle pour douze ans … Cela devrait aller sans doute ?…

–       « Oh ben … Je pense bien oui … »

Répond le père Noël tout surpris … Décidément, voilà que c’était Noël pour le père Noël !… Prenant l’argent que la dame venait de lui donner il le  tendit à la  vendeuse mais la commerçante de derrière son comptoir arrêtait son geste disant :

–      « Non !… Non non !… Vous n’avez pas besoin de nous les payer !… C’était  la dernière liseuse et elle est resté durant un mois sur le modèle en vitrine.  De toute façon nous aurions du la vendre au rabais et puis nous vous connaissons père Noël, depuis le temps que vous venez aux fêtes ici dans nos rues !… Vous êtes un très brave homme, nous le savons … Prenez, prenez donc !… C’est Noël ce soir et nous sommes bien contentes toutes les trois d’offrir ce cadeau à la maman et à la petite… N’est ce pas les filles ?… »

Dit la patronne en se tournant vers les vendeuses,

–      « Nous sommes ravies père Noël de vous permettre de faire plaisir à cette petite fille. Allez donc tranquille, c’est à vous !… Et la robe de nuit, si elle est un peu trop grande, ce ne sera pas bien grave. On dort aussi bien dans une robe de nuit trop grande et même bien mieux que dans une robe de nuit qui est trop petite !… »

Ce disant la bonne dame partait d’un éclat de rire qu’entonnaient en chœur les deux filles et même le père Noël.  Ce qui eut pour effet que des personnes, toute étonnées, s’arrêtaient devant le magasin et même y entraient par curiosité, espérant percer le mystère de cette insolite hilarité entre un père Noël et des vendeuses de lingerie et de robes de nuit.  Sur quoi le père Noël, fidèle à sa tâche et à ses obligations, rangeant d’abord soigneusement dans la poche de sa veste le fameux billet de banque, reprenait à nouveau son panier et distribuait des Cougnolles et des bons d’achat aux nouveaux arrivés.

Enfin, après des salutations joviales et des bons vœux échangés il repartait dans la rue, panier au bras, dans lequel il y avait à présent deux magnifiques cadeaux qui y trônaient et même en dépassaient.

*

*

*

Restait le livre de contes …

Cette fois, pas de doute, il allait pouvoir l’acheter …

Le billet de banque que la vieille dame lui avait donné allait largement le lui permettre et il avait aussi quatre bons d’achat, ne l’oublions pas. Sans doute même qu’il pourrait aussi trouver un joli cadeau de plus pour la maman…  Ainsi elles auraient deux cadeaux chacune !…

Ca alors, Adélie n’en reviendrait pas …

Partant d’un bon pas, un peu pressé déjà vu l’heure tardive, et par peur que la grande librairie de l’avenue des Platanes ne soit fermée avant son arrivée, le père Noël pour une fois ne s’arrêtait plus en chemin pour distribuer des Cougnolles d’ailleurs, en fait de Cougnolles, il ne lui en restait quasiment plus…

De loin il voyait l’enseigne de la grande et belle librairie encore allumée !…

–      « Ah quelle chance !… »

Dit-il tout en se pressant et entrant dans le magasin.

Arrivé près de la caisse il s’adressait à la vendeuse :

–      « Je cherche, Madame, un livre de Contes pour Enfants … »

La vendeuse, un rien surprise, observait le père Noël qu’elle avait vu passser devant la librairie un bon nombre de fois durant la journée et lui dit :

–      « Un livre de contes ?… Euh … C’est pour vous père Noêl ?… »

Avec une mimique un peu ironique.

–      « Non ce n’est pas pour moi !… »

Réplique le père Noël en s’esclaffant.

–      « Pas du tout même !… C’est pour en faire cadeau à une petite fille !.. Quoi de plus logique pour un père Noël, dites moi, que de faire cadeau d’un livre de contes à une petite fille ? »

–      « Ca c’est bien vrai ! »

Dit la vendeuse riant elle aussi, enfin mise à l’aise par le regard si gentil de ce père Noël si particulier.

–      « Et quel genre de livre puis-je vous proposer père Noël ? »

–      « Ce n’est pas compliqué Mademoiselle. Il me faut le livre de Contes des « Mille et une Nuits » … La plus belle édition, celle avec toutes les images, un livre très gros, très grand et très cher si j’ai bien tout compris … »

–      « Eh bien, vous savez bien ce que vous voulez vous au moins ! »

Dit la vendeuse en éclatant de rire.

–      « Oh moi…  Je ne sais peut-être pas toujours ce que je veux… Mais ce qui est sûr c’est que Adélie, elle, elle sait le livre qu’elle aimerait recevoir comme cadeau de Noël. L’avez-vous dites moi ? »

–      « Bien sûr oui que nous l’avons … Et même je vais vous dire que nous n’en avons pas vendu tant que cela de cette série. Il est un peu cher il est vrai, et puis les parents n’offrent presque plus de livres de contes à leurs enfants. En plus on en trouve, certes médiocres mais néanmoins, dans les chaînes de supermarchés.  Et puis d toute façon, ils ont de moins en moins de succès hélas.  C’est dommage d’ailleurs mais que voulez-vous … Avec la télévision, les ordinateurs et tous ces jeux électroniques, les contes eux, ils deviennent désuets …

Sur ces mots elle se dirigeait vers le rayon de livres pour enfants et prenait là un magnifique livre, immense, épais, dont la couverture toute brillante et bleue était parsemée d’étoiles dorées et de lunes.

Revenue à la caisse près du père Noël, elle lui présentait le livre disant :

–      « Voyez comme il est beau !… De la plus belle qualité !… Toutes les pages sont glacées, la tranche du livre est dorée, il y a une cordelière en soie pour signet, chaque page de gauche porte un dessin, chaque page de droite porte le texte … Et voyez … »

Ajoutait encore la vendeuse toute fière et même émue en paginant précautionneusement le beau livre de contes …

–      « Chaque conte commence par une lettrine dorée … De la calligrahie père Noël !!! Un vrai livre précieux, un livre rare, comme il ne s’en fait plus guère … Et puis, des contes merveilleux, des contes qui tous font rêver !.. De contes qui nous viennent des lointaines contrées arabes, des palais et des sables, des contes qui ont mille et un ans !… Oh !… Elle sera contente la petite fille !  Vraiment !… C’est un magnifique cadeau qu’elle a demandé là… Je vous l’emballe dans un joli papier oui ? »

–      « Bien sûr ! »

Approuvait le père Noël !…

–      « Et si vous aviez du papier avec des étoiles dorées ce sera parfait !… Assorti au livre !…  Mais, dites moi mademoiselle… J’y pense … Si vous vouliez offrir en cadeau un livre à votre maman, que lui offririez vous ?… «

–      « Ah !.. »

Commençait la vendeuse,

–      « La question est d’importance…. Il est bien difficile de juger du goût des lectures sans connaître la personne … Mais à tout prendre, en cette période de fête, que diriez vous d’un très beau livre de recettes de cuisine du monde entier ?… J’en ai un aussi grand que  ce livre de contes, et aussi épais et aussi beau !… Ne serait-ce pas là une bonne idée ?… »

–      « Excellente idée mademoiselle, vous n’auriez pu mieux me conseiller !  Des recettes du monde entier !… Ca alors, je n’y aurais jamais songé… »

En lui-même il commençait à se demander si l’argent suffirait mais sans doute que oui se disait-il, si le billet de la dame devait suffire pour la liseuse, qui était très chère, sûrement qu’il paierait bien les deux beaux livres qu’il se proposait d’acheter …

–      « Emballez les donc tous les deux, et séparément bien sûr s’il vous plaît !… L’un pour la maman et l’autre pour l’enfant … Et dites moi mademoiselle, combien cela me coûtera-t-il ?… J’ai des bons d’achat, je peux les utiliser, c’est une personne qui me les a rendu…  Si vous voulez bien, au cas où je n’aurais pas assez d’argent vous comprenez  … »

–      « Attendez père Noël … »

Dit la demoiselle,

–       « Je vais aller demander à la patronne. Peut-être pourrions-nous vous faire un prix sait-on jamais … Qui ne risque rien n’a rien … »

Ajoutait-elle encore en lui faisant un joli sourire avant d’aller vers l’arrière du magasin…

Il commençait à se faire tard. Quelques clients restaient errer entre les rayons, indécis sur leur chois, d’autres attendaient à la caisse. Le père Noël décidait de leur donner les dernières Cougnolles qu’il avait encore dans son panier et les bons d’achat qui lui restaient à distribuer …

–      « Tenez ! Prenez les. Vous pourrez les faire valoir sur vos achats ici même et ce soir ! »

Leur dit-il d’un ton jovial en les distribuant.

Entretemps la patronne de la librairie arrivait à la caisse.

–      « Alors père Noël, vous faites vos emplettes ? »

–      « Eh oui Madame, j’ai promis des cadeaux à une petite dont la maman est souffrante et qui n’a pas de biens gros moyens pour lui faire un joli cadeau ni même n’a l’espoir d’en recevoir un pour elle-même… »

–      « Quel brave homme vous êtes père Noël !.. Alors que sûrement vous avez déjà finit toutes vos distributions, voilà encore que vous allez devoir passer par les toîts et les cheminées ce soir !… »

Lui répond la patronne d’un ton complice. Et se tournant vers la vendeuse elle lui dit :

–      « Juliette, vous pouvez faire une ristourne de 20 % sur la totalité de son achat au père Noël !… Et vous déduirez la valeur de six bons d’achat du tout en surplus !… Tout de même voilà des années que nous le connaissons n’est ce pas et nous allons l’aider à faire cette bonne action. »

–      « Merci ma bonne dame … »

Dit le père Noël tout surpris de cette générosité inusitée.  Il n’en revenait pas !… C’était presque des miracles qu’il vivait ce soir !… Des miracles de Noël !…  Lui qui avait dit à Adélie que les miracles il ne pouvait pas les lui promettre, il en était pour ses frais, c’est bien le moins que  l’on puisse en dire…

Enfin, une fois les livres emballés dans de jolis papiers, une fois enrubannés eux aussi de satin et d’une myriade de petites étoiles que la vendeuse parsemait encore sur les deux cadeaux, une fois réglée la note, une fois que toutes les Cougnolles qui lui restaient étaient distribuées, une fois que les bons d’achat eux aussi avait été donnés à la ronde aux quelques clients restant, le père Noël s’en allait non sans avoir salué tout un chacun en leur souhaitant un bien joyeux Noêl …

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*

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Une fois dans la rue, les paquets dans son panier qu’il tenait encore à son bras, il s’en fut en direction de la boulangerie, là où il allait devoir rendre des comptes et reprendre ses habits civils …

Arrivé à la boulangerie celle-ci était sur le point de femer.

–      « Ah !… Père Noël !… Vous voilà enfin !… Mais dites mois donc, vous avez bien tardé ce soir ?!… Nous nous apprêtions à fermer !… Où étiez vous !?… Et qu’avez-vous là dans votre panier ?… Des cadeaux ?… Toutes les Cougnolles sont parties ? Vous avez tout distribué ? Vous n’en avez pas même gardé une seule pour vous ?… »

–      « Oh je n’en ai pas besoin madame ! »

Répond-il à la boulangère dont il sait d’expérience que la générosité n’est que feinte manière.

–      « Vous m’en aviez déjà donné hier … Par contre, j’ai une faveur à vous demander … »

–      « Une faveur ?  Dites toujours père Noël, nous verrons bien … »

–      « Eh bien madame, si je puis me permettre, j’aimerais garder mon costume ce soir … Voyez vous, j’ai une importante mission à accomplir et elle ne se peut en habit civil. Il faut absolument que j’aille dans une famille, composée d’une maman et de sa fille, pour y aller déposer les cadeaux que vous voyez dans mon panier. Mais vous comprenez, il faut que j’aille là-bas habillé en père Noël, c’est impératif !… Car bien sûr il faut que l’effet soit complet … Il me serait difficile d’expliquer à cette enfant que je voyage incognito comprenez vous !…. »

–      « Ah ah ah ah !  En voilà une bien belle de requête mon brave homme ! »

S’exclamait le boulanger qui avait tout entendu de derrière son comptoir où il comptait ses deniers.

–      « Mais bien sûr voyons que vous pouvez le garder le costume ! Cependant, ne craignez vous de vous faire remarquer dans votre quartier quand vous y retournerez ce soir ? »

–      « Peu importe … »

Dit le père Noël.

–      « D’ailleurs les gens de mon quartier seront déjà tous dans leurs maisons à fêter le Noël. Et puis un soir comme celui-ci, quoi de plus naturel que de rencontrer le père Noël, pas vrai ? »

–      « Bien vrai ça ! »

Dit encore le boulanger s’esclaffant de plus belle.

–      « Tenez, nous avons là quelques pains qui nous restent, voulez vous les emporter pour les donner aux enfants de votre voisinage ? »

–      « Bien certainement ! »

Dit le père Noël.

–      « D’ailleurs, avant d’aller porter les cadeaux, je repasserais chez moi pour tranquilliser mon épouse. Déjà que j’ai tardé. Je reprendrais mes vêtements civils si vous permettez et je vous ramènerais le costume lundi … Demain c’est fête et j’ai de la famille qui viendra nous voir… »

–      « En ordre ! »

Dit le boulanger et ce disant il prit quelques beaux pains et même encore quelques Cougnolles qu’il déposait dans le panier du père Noël.

–      « Voilà mon cher !… Vous êtes servi ! Et nous nous reverrons lundi ! »

Ensuite, le père Noël allait derrière, à l’office, pour récupérer ses vêtements civils qu’il rangeait dans sa besace et revenant dans la boutique saluait les boulangers avant de s’en aller.  Puis, se ravisant, s’adressant à la boulangère lui demande :

–      « J’aimerais vous demander encore un petit plaisir madame … Pourriez vous m’emballer une des Cougnolles dans un emballage cadeau s’il vous plaît ?…

–      « Bien sûr ! »

Dit le boulanger qui avait tout entendu à nouveau.

–      « Emballe une des Cougnolles s’il te plaît Astrid !… »

La boulangère, un peu réticente, se mit à la besogne et emballait la plus grande Cougnolle dans un papier de soie puis dans un papier doré avant de tendre le paquet au père Noël.

–      « Pourriez-vous aussi mettre un ruban madame s’il vous plait ? »

–      « Ah !.. Pas de ruban cette année ! Nous n’en avons mis pour personne de ruban cette année !»

Rétorquait la boulangère …

–      « Pas de ruban ? »

Dit le père Noël.

–      « Comment ça pas de ruban madame ?… Mais un cadeau sans ruban, madame, ce n’est pas un cadeau !… Je vois d’ailleurs que vous avez là une bobine de ruban bleu !?… Il n’en faut pas beaucoup, c’est pour lui donner de l’allure à mon cadeau comprenez vous ? »

–      « Mais c’est du ruban bleu !… Ce sera moche du ruban bleu sur le papier doré de la boulangerie ! »

S’exclame la boulangère qui aurait tout autant aimé en rester là pour ce soir.

–      « Mais non va madame, ce ne sera pas moche !…

Lui assurait le père Noël.

–      «Faites confiance à votre ruban bleu !… Il provoquera sans nul doute un sourire dans les yeux croyez moi ! »

La boulangère, faisant contre mauvaise fortune bon cœur et pour être quitte de cette affaire et de sa journée de boulangère, coupait de mauvaise grâce un morceau de ruban bleu et le nouait autour de la Cougnolle emballée cadeau dans un papier doré.

–      « Voilà ! C’est du plus bel effet croyez moi ! »

La rassurait le père Noël. Et sur un cordial :

–      « A lundi alors monsieur ! Bien l’bonsoir madame et belle veillée de Noël aussi !… »

Le voilà parti, notre père Noël, en grande tenue, ses vêtements dans son sac, ses cadeaux bien en vue au dessus des pains et des Cougnolles dans son panier qu’il tenait à son bras.

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Dans la ville ce soir là un père Noël se dirigeait vers la gare vicinale, un père Noël prenait le bus jusqu’en banlieue, un père Noël entrait dans un immeuble d’appartement sociaux, un père Noël s’arrêtait à tous les étages où il savait se trouver des familles dans le besoin, déposant, après avoir sonné aux portes, des pains et des Cougnolles avant de rentrer dans son appartement où son épouse, toute étonnée, le voyait rentrer en habit et en apparat de père Noël.

A la main il tenait encore un bon pain bien frais, le déposait sur la table de la cuisine puis dit à sa vieille après lui avoir donné un baiser tout doux sur le front :

–      « Ma bonne, je n’ai pas fini ma tournée … Il me faut encore retourner en ville !… Vers onze heures je reprendrais le chemin pour aller déposer ces cinq cadeaux que tu vois là dans mon panier. Je vais aller les déposer chez une petite fille qui espère bien les recevoir encore ce soir … Mais avant cela, j’aimerais manger, tu sais, je suis fourbu et d’ailleurs, j’ai plein de choses à te raconter … »

Alors l’épouse du père Noël, toute éblouie de voir son homme presque comme une apparition devant elle lui dit :

–      « Assieds toi donc mon ami. Je comprends que tu sois vanné !… Quelle journée !… Je t’ai préparé un magnifique gigot, comme tu les aimes, à l’Irlandaise … Asseyons nous tous deux, mangeons à notre faim, et raconte moi tout ça … »

Ainsi, ce soir là, dans la chaumière modeste du père Noël, Adélie fut la vedette. L’homme, tout en mangeant, racontait à son épouse les aventures qu’il avait connues, les confidences qu’il avait reçues, et les péripéties qui avaient suivi la rencontre avec la petite fille.

Enfin, vers onze heures du soir, il remettait son bonnet sur sa tête, sa besace à son dos, son panier à son bras, garni des cadeaux et de la Cougnolle emballée et après avoir doucement embrassé son épouse il redescendait l’escalier de son immeuble de banlieue et se dirigeait vers l’arrêt du bus pour retourner au centre ville, le cœur tout ému, battant et content de la surprise qu’il s’apprêtait à faire à la petite fille et à sa maman.

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Il y a des Noëls -(3)-

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Il y a des Noëls sans rires …

(Troisième épisode)

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Le docteur tirait la porte sur une enfant aux anges et une maman éberluée … Eberluée oui, mais souriante aussi… Oui, souriante … Les babillages et les affairages joyeux de sa fille avaient fait naître sur son visage un doux sourire …
Adélie la regardait à la dérobée tout en papotant allègrement :
– « Tu comprends maman, si j’ai tardé, c’est parce que j’ai rencontré au coin de notre rue le père Noël en personne !… Et beau avec ça !… Tu aurais du le voir !… Tout habillé de rouge, tu sais bien comment il est, avec sa hotte rebondie sur son dos, son bonnet rouge borduré d’hermine et des bottes de neige … Ah ! Il lui en faut des bottes de neige au père Noël, parce que dans son pays il y a de la neige partout, partout !… Et imagine-toi que chez lui, là-bas dans son lointain pays, les arbres ont des feuilles bleues !… Bleues maman les feuilles rends toi compte quelle magie !… «
Tout en bavardant de la sorte elle déballait le grand cabas rempli de victuailles.
– « Mais ma fille … »
Dit la mère soudain inquiète,
– « Comment as-tu pu acheter pareilles provisions ? Tu n’as pas fait de crédit j’espère chez monsieur Gaston !?… »
– « Oh non maman, tu sais bien !… Je n’oserais jamais ! J’ai appris que l’on ne peut pas faire crédit … Tu m’as bien dit que les pauvres gens, sous le crédit, peuvent y perdre la vie … Non non non !… Pour commencer, tu vois, je suis persuadée que le père Noël est derrière tout cela !… Regarde !… Il me disait qu’il ne pouvait pas me promettre de miracles, mais n’est ce pas miracle toutes ces bonnes choses que nous avons là ?… D’abord, le père Noël m’a donné ces trois belles Cougnolles. Vois comme elles sont grandes et comme elles ont l’air bien frais et appétissant !… Trois, maman ! Il y en a pour la semaine … Puis, arrivée ici, et te trouvant si mal et au lit, pour me tranquilliser, le docteur m’a donné quelques pièces de monnaie pour que je puisse aller nous acheter de bonnes choses …
– « Quel brave homme tout de même.. »
Dit la maman.
– « Alors … »
Poursuit Adélie …
– « Arrivée à l’épicerie j’ai commandé du lait, du cacao, du beurre, de la confiture… Et puis voilà que Monsieur Gaston s’est mis à me faire des emplettes tout plein … Regarde maman ! »
Et la petite se met à sortir toutes les victuailles sur la table …
-« Des raviolis maman, tu sais, des bons là … Des raviolis « Maison » … Et du jambon maman, du fromage de Hollande et regarde, regarde les beaux fruits !… Même des oranges !… Ce n’est pas Noël ça dis moi ? »
Et toute émue elle revient près du lit de sa mère pour la prendre dans ses bras..
– « Je vais nous faire une belle table … Je prendrais la belle nappe. Et puis regarde maman.. ; »
Retournant vers la table elle prend la couronne toute décorée et la montre à sa mère.
– « Il y a des bougies dessus ! Ce sera joli joli ! Veux-tu que je te fasse un thé maman ?… Ou préfères-tu attendre que j’aie préparé le cacao !?… »
– « Eh bien tu sais quoi ?… »
Lui répond la mère en se levant de son lit …
– « Je vais m’y mettre moi aussi… Nous allons préparer ensemble la fête, toi et moi !… Et c’est moi qui ferais le cacao !… Qu’en penses-tu ma fille ?… »
En réponse la petite bat des mains …
– « Oh oui maman, comme je suis contente ! Tu le prépares si bien le cacao, et j’adore te regarder le faire … Il fait bien chaud maintenant avec le deuxième poêle que le médecin nous a apporté, tu ne prendras pas froid … Mais couvre toi quand même … »
En lui disant cela elle se rappelle de la liseuse que lui promettait le père Noël. Un sourire mutin se dessine sur son petit visage …
– « Ce serait vraiment complet si maman recevais cette liseuse. »
Se dit-elle …
S’affairant l’une et l’autre tout en bavardant, elles se mettent à ranger les provisions, placent les fruits dans une belle coupe, sortent la nappe, installent la couronne … Adélie décore les branches de sapin que monsieur Gaston lui donnait avec les jolies boules de Noël … Et tout en travaillant elle éclate soudain de rire …
– « Qu’y a-t-il ? »
S’étonne sa maman …
– « Tu aurais du voir maman la tête de madame Francine !… Elle était toute rouge et toute fâchée sur monsieur Gaston ! Tu sais, les boules et les branches de sapin il les a prises dans la vitrine ! Rends-toi compte. Elle a voulu l’empêcher de me donner tout cela, même qu’elle a dit que nous devrions rembourser mais monsieur Gaston lui a dit de se taire … »
Et elle repart d’un rire jovial tout en imitant la voix de l’épicier :
– « Je te prierais, femme, de vouloir bien taire ta méchante langue pour que je puisse écouter ce dont Adélie a besoin … »
Et toutes les deux, devant les mimiques de l’enfant et le souvenir de la déconfiture de madame Francine partent d’un grand éclat de rire !…
– « Tu ris maman !… Tu ris !… Oh, comme je suis contente ! Tu ris ma petite maman … »
Et l’enfant vient contre sa mère, lui entoure le torse de ses deux bras en une chaude et aimante étreinte et elles restent là, au milieu de la pièce, l’une contre l’autre, la mère et la fille, savourant ce renouveau en un recueillement d’amour et de bien-être que ni l’une ni l’autre n’ont plus connu depuis longtemps …
Enfin, s’écartant doucement de sa mère l’enfant lui dit :
– « Tout va aller bien maintenant maman, tu verras, c’est le père Noël qui me l’a dis … Et le père Noël … »
Dit-elle sentencieuse levant l’index bien droit devant elle et le secouant comme le fait la maîtresse à l’école :
– « Le père Noël, il ne raconte pas d’histoires et il ne fait pas de promesses en l’air, lui ! C’est un honnête homme !… »
Sur ces paroles catégoriques la petite attrape son tablier à la patère, le ceint autour de sa taille et se met à l’ouvrage … Le deux-pièces est traversé de la musique du transistor … Des chants de Noël, des envolées de violon, de violoncelle et de flûte animent leur labeur alors que toutes deux s’occupent d’aménager les lieux pour préparer leur fête de Noël …
Bientôt dans le petit logis l’odeur du cacao embaume… Adélie a décoré la table, la jolie nappe toute bordurée de doré scintille et la couronne au beau milieu est du plus bel effet … Une des branches de sapin décorée de boules elle l’a accrochée à la suspension qui descend du plafond, les trois autres elle les a disposées sur la commode, le guéridon près de la porte et une au dessus de la porte, avec une jolie boule rouge suspendue qui se balance délicatement sous les mouvements de l’air provoqués par la chaleur du poêle d’appoint …
Tandis que la maman s’occupe du cacao Adélie coupe de belles tranches de Cougnolles qu’elles dispose dans un panier, arrange le beurre dans un ravier, en prend un autre pour y mettre quelques cuillerées bien garnies de confiture de framboise.
Puis elle ouvre délicatement le carton du gâteau, juste pour le regarder … Le gâteau elle le mangeront demain, pour le dessert du repas de Noël …
Parce qu’elles se feront un bon repas de Noël demain maman et elle, Adélie y compte bien… Brusquement elle relève la tête, narines frétillantes … A l’odeur du cacao s’est jointe celle, oh combien alléchante, des crêpes !… Mais quelle joie !…
– « Maman ! »
S’écrie l’enfant,
– « Tu as fait des crêpes !?… Ca alors ! C’est tout bonheur ma petite maman !… Des crêpes !… Justement, monsieur Gaston m’en parlait des crêpes !… »
– « Bien sûr ça !.. »
Dit la maman dans un sourire satisfait tout en versant une louche de pâte dans la poêle …
– « Monsieur Gaston est fin connaisseur !… Nous avons la farine, le lait, les œufs et même le beurre !… »
– « C’est la fête ! »
Dit Adélie.
– « C’est la fête ! »
Répète la mère après sa fille …
Et sautillante elle retourne vers la table, heureuse dans son cœur rempli de nouvelle chaleur … Ah , il y a encore de bonnes gens qui parviennent de si peu de choses à ranimer la vie et la joie dans le cœur d’une maman et à faire sautiller un enfant …
Plus tard dans la soirée, toute deux attablées et repues des bonnes choses qu’elles ont mangé, Adélie dit à sa maman …
– « Tu sais maman, il y a des gens qui dorment dehors … »
La maman, émue de cette parole, regarde sa fille.
– « Tu as le cœur bon Adélie … Il ne faut jamais le perdre … Oui, il y a des gens qui dorment dehors la nuit de Noël … Et nous sommes bien heureuses déjà d’avoir ce petit logis … »
– « Tu iras mieux maintenant maman ? »
L’interroge sa fille …
– « Mieux ?… Je vais tout faire Adélie pour aller mieux oui … Le docteur et moi avons beaucoup parlé. Il a raison, je ne peux pas rester toujours à me laisser glisser vers le bas … Je te demande pardon des peines … Je n’ai pas été très vaillante, je le sais … Et j’ai du bien des fois te chagriner de ma dolence … »
– « Mais non maman, je t’aime tu le sais … Plus que tout !… Et même plus que la danse !… Mais c’est vrai que je m’inquiète sans cesse pour toi.. Tout à l’heure en revenant, te voyant toute pâle et immobile comme … Ben tu sais bien … Comme une morte… J’ai eu si peur … Je ne peux pas penser que tu t’en ailles au ciel et que tu me laisses seule dans ce monde… Il n’y a pas que de gentilles gens … Il y a bien plus de gens vilains que de gens ayant le cœur sur leur main … Tu me le dis si souvent, et c’est bien vrai … Si tu avais vu la propriétaire, comme elle a été vilaine avec moi quand je suis revenue ce soir … Elle m’a bousculée dans l’escalier me disant que tu étais ‘au plus mal’ … »
Et la petite pince la bouche et lève les yeux comme le fait madame Dubuisson, la logeuse … Toutes les deux, à nouveau, éclatent de rire …
– « Comme tu es drôle ma fille !… Comme tu es drôle !… »
S’esclaffe la maman !…
– « Et comme j’aime t’entendre rire maman !… Et comme tu es belle quand tu ris !… De la terre entière c’est toi la maman la plus jolie !… Et c’est le plus beau des cadeaux de Noël pour moi, de t’entendre rire ma petite mère !… »
Soudain, l’enfant se lève, va vers l’interrupteur, éteint le plafonnier et revient s’asseoir en prenant soin de tirer sa chaise la plus proche possible de celle de sa maman … Et vient alors l’heure des confidences … A la lueur des bougies disposées en rond sur la couronne en milieu de table, le visage de l’enfant luit, nacré et rose sous sa belle chevelure noire et bouclée. Son regard dardé sur celui de sa mère elle lui dit :
– « Parle maman, parle moi … Il y a tellement longtemps que je ne t’ai plus entendue… »
Et dans le paisible logis une chaleur nouvelle irradie …
Pas seulement celle d’un radiateur, ni non plus seulement celle des bougies, ni encore ou pas seulement celle de la table décorée, des branches de sapin parfumant l’ambiance ni non plus celle des décorations reflétant dans la pénombre les doux balancements des flammes, mais surtout celle d’une enfant et de sa maman qui, en cette nuit de Noël dont les rires risquaient d’être bannis, avaient retrouvés, rien que pour elles deux, la complicité de l’amour, de la confiance et de l’espoir …
– « Le docteur a raison ma fille … J’étais bien fautive de vouloir ainsi me laisser glisser à néant sans me soucier de ton chagrin … Vois-tu, dans ce monde où tout devient de plus en plus rapide et éphémère, je n’ai pu supporter le choc de l’abandon … Mais j’étais pourtant sur le point de m’abandonner moi-même, et toi aussi donc … Mon amour … »
Dit la mère en passant sa main dans les cheveux soyeux de sa fille.
– « Oh maman, tu m’as appelée ‘Mon amour’ !… »
S’écrie la petite fille en se serrant encore plus près de sa mère.
– « Mon amour oui, c’est toi mon amour. Et c’est parce que je t’aime tellement que j’ai voulu m’éloigner de toi… Les adultes sont parfois bien compliqués et ne comprennes rien à la vie !… J’avais peur tu vois, peur que mon chagrin ne te fasse obstacle. Je craignais que mon incapacité à surmonter l’abandon de ton père ne fasse de moi un ennui pour le cheminement vers ton avenir. Mais j’avais perdu de vue, hélas, que sans une mère un enfant ne peut grandir. Il fallait que je comprenne cela, et je l’ai compris ce soir … »
– « Ca ! C’est le père Noël !… »
Dit Adélie d’un ton sentencieux en levant à nouveau son index.
– « C’est le père Noël, si tu veux, mais c’est surtout toi qui me l’a fait comprendre. Tu sais, les adultes, trop souvent, ne tiennent pas compte des avis et observations des enfants. Pourtant, ils sont sages. Quand on dit que la vérité sort de leur bouche cela ne signifie pas que tout ce qu’il dise soit juste ou vrai, cela signifie que ce qu’ils disent vient droit de leur cœur, sans dissimulation … Ce sont leurs émotions qui parlent au travers de leurs observations … Et c’est ce que tu as fait … Sans cesse … Tout à l’heure, avant de partir à l’épicerie, tu m’as parlé dans l’oreille, et je t’entendais … »
– « Je le savais bien cela ! »
S’exclame la petite toute ravie …
– « Oui … »
Continue la maman …
– « Et quand tu m’as dit … « Je préparerais le cacao comme tu le fais si bien maman … » je me suis dit : « Et si je ne suis plus là, qui lui prépareras le cacao aussi bien que moi ? » … Oh bien sûr, tu me diras, le cacao cela n’a guère d’importance dans la vie … Mais tout de même, il n’y a que moi qui te fais le cacao comme tu l’aimes, et si je ne suis plus là qui te le feras comme tu l’aimeras ?… »
– « C’est bien vrai ça petite maman … Imagine toi … Je ne suis pas encore assez grande pour avoir tous les tours de tes mains … Je sais déjà le faire un peu mais même, il me semble que le cacao, sans toi, n’aurais plus jamais le même goût … »
Souriante et émue sous ce compliment, la mère continue :
– « Oui, tu vois … Le cacao c’est un exemple … Mais tout le reste est lié à cette découverte que tu m’as permis de faire … Vois-tu, je me disais en t’écoutant :
« Voici le soir de Noël, et tant d’enfants sont tristes, orphelins, abandonnés, oubliés, battus, maltraités, exploités … Tant de mères sont privées de leurs enfants, seules, isolées, sans familles, sans amis … Tant de pères aussi sont seuls, et même qui sait pleurent leur foyer perdu, leurs enfants, leur famille, leur propre mère trop tôt partie …
« Nombre de gens sont dans la rue, dans le froid, dans l’indifférence, dans l’inexistence … Combien d’entre eux mangeront ce soir ?… Combien d’entre eux verront ne fût-ce que l’éclat d’une bougie ?… Combien d’entre eux se lèveront au petit jour dans le silence et l’absence total de joie été d’amour ?…
« Ma fille et moi nous avons la chance d’être ensemble … Moi j’ai la chance d’avoir une enfant gentille et aimante … Mon enfant a la chance d’avoir près d’elle sa maman en ce soir de Noël … Tout ce qu’elle me demande c’est de vivre … Car c’est là une chance, une chance de la vie … Combien de gens ont cette chance ?…
« Il y a des gens aisés, riches, fortunés même, instruits, dotés, ayant famille, ayant amis, et dont le cœur est devenu sec, et dur, et indifférent aux peines du monde…
« D’autres de ceux là dont le cœur est dans le chagrin …
« D’autres encore qui sont malades, impotents, paralysés … Que personne n’ira voir, que Noël veillera dans l’absence d’amour, dans le désespoir …
« C’est une chance de comprendre tout cela, une chance de savourer cette compréhension, c’est une chance de pouvoir profiter de l’instant présent et de parvenir à chaque fois d’en faire un instant unique, magique …
« Il me fallait saisir tout cela et reprendre le dessus, voilà ce que je me disais, reprendre le dessus, ouvrir les yeux, arrêter de glisser vers le bas, vouloir me redresser, prendre la main que tu me tends chaque matin, recevoir le baiser que tu déposes sur mon front en partant pour l’école et vivre … Vivre pour toi, vivre pour nous, vivre pour moi … »
« Et j’avais honte tout à coup tu comprends … Je me disais que ce n’était pas bien de vouloir rester là dans l’ombre de la vie et de faire rayonner cette ombre sur la tienne de vie … D’alourdir tes pas chaque matin quand tu partais à l’école avec le chagrin dans ton cœur au lieu de te donner un sourire, un peu de chaleur et l’espoir du bonheur au retour …
– « Je te ressers un peu de cacao maman, tu veux ? »
Dit Adélie, émue des paroles si profondes de sa mère.
– « Oui ma chérie, je veux bien … Et je veux même bien encore une tranche de cette excellente Cougnolle que le père Noël t’a donné… Nous pouvons bien le remercier celui-là aussi d’ailleurs … »
Ajoute la mère dans un sourire. Puis, une fois la tranche beurrée et généreusement tartinée de confiture qu’elles se servent toute deux et mangent avec plaisir et appétit blottie l’une contre l’autre dans la lueur des bougies la petite dit :
– « Raconte maman, raconte moi Noël … Quand tu étais petite … »
– « Tu sais Noël …

Dit alors la mère reprenant ses réflexions :


– Tu sais, Noël … C’est devenu une fête un peu bizarre maintenant… Plus rien n’est pareil, plus rien n’est à sa bonne place, plus rien n’est comme avant… Autrefois, c’était la fête des croyants comme des incroyants, d’ailleurs à Noël même les païens, pour un temps, devenaient croyants. C’était la fête des familles, des grands-parents, des enfants… Déjà, tout le mois de décembre en était imprégné… Mais pas dans les magasins comme il se fait maintenant, pas du tout !… C’était dans les maisons que cela se passait, et dans les salles communales, et à l’école … Il y avait le calendrier de l’Avent dont chaque soir nous ouvrions une petite porte supplémentaire et je me souviens, ma grand-mère, tous les soirs, nous racontait une histoire… Et puis il y avait le mystère … Une atmosphère plaisante, furtive et émouvante aussi, un peu comme de dire des arômes tu vois qui petit à petit envahissaient la maison. Maman fabriquait des spéculoos, et du pain d’airelles, du pain d’épices aussi… Et la maison sentait le clou de girofle, et la cannelle tu vois ?…
Adélie voyait …
Elle imaginait …
Elle rêvait …
– « Et la maison prenait aussi des allures de secrets … Quelque chose allait se passer nous le pressentions, et même si chaque année la même chose allait se passer, tout de même il allait une fois de plus se passer quelque chose de nouveau … Les grandes personnes se parlaient à voix basse, nous allions aux futaies des bois ramasser des pommes de pin pour la dinde …
« Et quand nous revenions s’était comme de dire que les grandes personnes nous auraient joué des tours … Ils se souriaient en connivence, se regardaient à la dérobée … Les pommes de pin ajoutaient une odeur de plus à la maison … L’odeur du sapin, de la résine, de la forêt …
« Ce qui rendait le mystère encore plus complet… Quand à la mi-décembre la neige se mettait à tomber dehors en de doux flocons larges et blancs, nous allumions l’âtre … Et la flambée elle aussi participait alors des odeurs de préparation de Noël et de tous ses mystères…
– « Noël …
Continuait la maman …
– « Se pointait tous les soirs un peu plus dans l’ambiance familiale … Tu vois, un peu comme une toute petite lumière qui irait en grossissant … Et le soir, lorsque nous allions nous coucher, il nous semblait que nous emportions un peu de ce merveilleux entre nos draps.
« Maman nous mettait des bouillottes bien chaudes dans nos lits et l’hiver restait dehors, nous étions bien blottis et à l’abri … Les nuits étaient froides et sombres mais nous n’avions pas peur et nous faisions des rêves enchantés et emplis de douceur…
« Le matin en nous levant les fleurs de gel sur les vitres étaient tellement magnifiques que nous nous en extasions sans même que nous ne ressentions le froid à nos pieds nus … Et de nos bouches sur les carreaux nous soufflions nos haleines chaudes pour créer un œilleton dans le givre et regarder le jardin où la neige était tombée un peu plus encore que la veille et où tout était blanc, lisse, calme, tranquille, immaculé…
« Noël, c’est cela tu vois … Ce sont ces nuits froides, ces matins blancs … Ces mystères … Ces attentes des jours qui précèdent et où nous imaginions en nous promenant dans la maison, les narines grandes écartées pour capter les odeurs épicées de pâtisseries qui se préparaient, les moments de fête qu’elles nous promettaient …
« Et cela se passait ainsi dans toutes les maisons …
« Aucune précipitation dans les magasins, aucune cohue de gens pressés dans des super marchés … Noël c’était la fête des familles, et tout le monde la préparait et chacun avait ses recettes pour ça …
« Et c’est au bout de tous ces jours qu’arrivait alors l’heure d’allumer les bougies aux fenêtres, et sur les cheminées, l’heure de tresser des couronnes avec des branches de sapin, en y ajoutant le houx piquant que nous allions cueillir dehors. L’heure aussi de chanter devant le feu des chansons anciennes, des chansons païennes ou chrétiennes peu importait, pourvu que nous chantions, et à nous raconter des histoires, chaque année les mêmes et pourtant nous émerveillant chaque année car portant en elle les mêmes messages de paix, de fraternité, de douceur, de partage …
« Et les nuits d’hiver et le froid donnait ce goût de distribution, de contribution collective, et ce goût de se réunir au chaud et de se faire des cadeaux… Des cadeaux utiles, des cadeaux que l’on avait tricoté, crocheté, fabriqué parfois des mois à l’avance… Des chaussettes, des bonnets, des écharpes, des gants, des chandails, des boîtes à joujoux aussi, et des pantins en bois sculptés, et des poupées de chiffon… Ou de jolis bateaux tout colorés, en bois, ou des têtes de chevaux sur un manche de bois que les petits garçons enfourcheraient pour déambuler dans la maison ou encore des petits chariots à roulettes pour promener les poupées dans le jardin quand reviendrait le printemps …
« Des jouets humbles, modestes, sans prétention, des cadeaux utiles, solides, qui duraient plus d’une saison mais qui nous remplissaient de joies parce que nous savions qu’ils avaient été fabriqué avec l’intention de faire plaisir et d’apporter un peu de bonheur, et des sourires … Tu comprends ?…
Et la maman regardait sa fille … Et rencontrait un visage émerveillé, et des yeux brillants presque de volupté à écouter sa mère raconter …
Alors elle continuait son récit …
– « Et les cadeaux que nous nous faisions devaient apporter le réconfort, le confort aussi, la chaleur et la lumière qui faisaient défaut car c’était l’hiver …
« Et le soir de Noël, nous allions tous bien emmitouflés dans nos manteaux et nos bonnets et écharpes, à la messe de minuit pour y écouter les cantiques et chanter en famille. Mais même dans les familles n’allant pas à la messe, l’on chantait … Et puis dans toutes les maisons on mangeait le repas de la Nativité et on se parlait, on se racontait … Cela se fait encore bien sûr, il y a encore beaucoup de gens qui pratiquent de la sorte … Seulement, avec ce monde comme il a changé, cette fête s’est laïcisée … Elle est devenue païenne plus que chrétienne …
« Et elle est devenue d’abord celle de la festine mercantile des incroyants … Les rites et les rythmes se sont effacés les uns après les autres, et Noël a perdu son âme de fête des Humains, des familles, des enfants, des grands-parents. Et des voisins aussi … Car Noël était aussi la fête du voisinage … Les gens se parlaient entre eux, et s’échangeaient des recettes et aussi des pains de Noël … Et puis, durant les soirées de veillées avant le Noël, durant l’Avent, les voisins se réunissaient, les uns faisaient de la musique, les autres racontaient de jolies histoires …
– « Tu en connais encore, maman, de ces jolies histoires ?… »
Demandait Adélie toute alléchée et éblouie devant sa mère qui parlait si tendrement près de son oreille …
– « Oui bien sûr … Tiens, je vais t’en raconter une que la vieille Pauline nous racontait chaque année et qui m’a toujours tant fait rêver … »
– « Veux-tu que je te fasse une tasse de thé maman ? »
Demandait la petite,
– « Ou alors veux tu que nous mangions quelques fruits avant ? »
– « Bonne idée ! »
Dit sa maman.
– « Découpons deux pommes, deux oranges, deux bananes et nettoyons quelques raisins … Nous les grignoterons en parlant … Et puis si nous prenions également un verre de ce bon jus d’orange que monsieur Gaston nous a donné ?… C’est fête pas vrai ma fille ?… »
Ajoutait la maman en posant un doux baiser sur le front d’Adélie.
– « C’est fête maman, oui, comme ces anciennes fêtes de Noël dont tu me parles … »
Ensemble elles pelèrent et découpèrent les fruits puis les disposèrent dans un joli plat … La maman les saupoudrait légèrement de sucre tandis qu’Adélie transvasait dans une carafe de verre une des bouteilles de jus d’Oranges … Ainsi servies, elles allèrent se rassoir près de la table, l’une contre l’autre et la maman continuait son récit pour sa fille toute charmée de la voir revenue à elle et volubile, pleine de lumière et de gaieté.


– « Pauline était la voisine la plus âgée de la rue et même du village. Elle ne cessait de vieillir et c’était comme de dire qu’elle n’allait jamais mourir.
« Elle venait les soirs de l’Avent avec son panier dans lequel il y avait son tricot et tout en faisant cliqueter ses aiguilles elle racontait … Une des plus belles histoires qu’elle racontait c’était celle de la petite fille et du loup …
« Ainsi, nous assurait la vieille Pauline, la nuit de Noël était la nuit des miracles, celle où à l’heure du minuit la terre cessait de tourner durant une fraction de seconde et où s’ouvrait l’univers à l’éternité. A ce moment là toute choses se figeaient et les cœurs des gens devenaient bons et tendres l’espace d’un infime instant …
« Les guerres s’arrêtaient, les armes se taisaient, les voleurs ne volaient plus, les tueurs ne tuaient plus, les menteurs ne mentaient plus, les vilains retrouvaient la bonté, les avares retrouvaient la générosité, les traîtres redevenaient dignes et les infidèles retrouvaient la probité …
« Dans les plus grandes demeures, dans les plus beaux châteaux comme dans les maisons les plus humbles et les chaumières les plus modestes les cœurs des hommes recevaient la lumière et cette lumière, durant un instant, irradiait au dessus du monde entier … Mais, disait Pauline, il fallait la capter, l’attraper au bon moment … Ne pas la laisser passer …
« Il fallait que chacun qui recevait cet infime instant de grâce, à la même seconde et dans le monde entier, il fallait que chacun y soit attentif pour en être irradié toute l’année durant et jusqu’au prochain Noël où à nouveau la Terre s’arrêterait durant une fraction de seconde pour distribuer à tous les êtres humains la lumière dont l’humanité avait grand besoin …
« Et c’est là que les choses se passaient mal estimait Pauline, parce que pour majorité, les êtres humains ne sont pas attentifs à ce qui se passe autour d’eux et dans leurs cœurs …
« Un soir de Noël, une petite fille regardait par la fenêtre dans l’attente de ce moment magique dont elle avait entendu parler par sa grand-mère, l’histoire se répétant et se transmettant de génération en génération. Pour être sûre de ne pas laisser passer l’instant magique du minuit elle s’était donc mise aux aguets… De là où elle observait de ses yeux écarquillés la nuit noire sur les terres toute blanches de neiges, elle vit soudain arriver un loup, un grand solitaire marchant d’un pas lent et à découvert. Un loup qui sortait de la forêt et s’était mis à errer au beau milieu des champs et des prairies toutes enneigées … Sans doute, la faim devait le torturer pour qu’il ose ainsi s’aventurer vers village… La petite fille n’ignorait pas que la sorte ce loup mettait en danger sa vie car si l’un ou l’autre chasseur l‘apercevait de sa maison celui-ci n’hésiterait pas à l’abattre. Nul humain n’aime à voir rôder un loup dans les alentours des villages et des fermes. Alors, très inquiète pour ce loup elle voulait le prévenir du péril qui le menaçait et sans rien ne dire à personne par crainte de trahir le loup elle enlevait vite son manteau et son bonnet de la patère pour s’en vêtir à la hâte et prit le chemin du verger et au-delà vers les prés pour se rapprocher de la bête. Elle ne ressentait pas la moindre inquiétude. Sur le chemin elle s’arrêtait à la laiterie y saisissant au passage un grand seau de crème toute fraîche du soir pour la donner à boire au loup. Le loup lui, la voyant s’approcher de lui se mit aussitôt à l’arrêt, une patte relevée, le museau humant l’air et les oreilles mobiles pour capter tout les sons. Chacun sait fort bien qu’un loup affamé est très dangereux et la petite fille elle aussi craignait pour sa vie, elle en avait conscience. Mais émue du sort de l’animal elle l’abordait tout doucement, déposant au sol le seau de crème et l’appelant :
– « Viens, viens par ici mon loup, viens lécher la crème … »
D’une voix toute flûtée au point même que la bête en fut charmée et qu’au lieu de retrousser les babines et de montrer ses crocs comme il est coutume pour les loups mécontents et méfiants elle s’orientait vers le seau et se mit à boire. Sur quoi la petite fille, nullement affectée, s’approchait et se mit à flatter de sa main l’encolure de l’animal tout en lui parlant :
– « Tu sais … »
Lui dit-elle tout bas dans le silence de la nuit qui les environnait,
– « Tu risques ta vie ici dans le champ. N’importe qui peux t’apercevoir d’une fenêtre comme moi-même je t’ai vu… Et si tu t’approches trop près du village, l’un ou l’autre des fermiers te repérant prendra son fusil et te tuera. Il faut absolument que tu retournes dans le bois !… »
Au grand étonnement de la fillette le loup se mit à lui parler :
– « Je te remercie pour l’avertissement et pour la crème, enfant. Mais vois-tu, j’ai là une meute dans les taillis qui est toute affamée. Nous ne pourrons plus tenir bien longtemps et je dois leur rapporter au moins un mouton ou un agneau de l’année pour calmer leur faim. »
– « Un mouton ?… Un agneau de l’année ?… »
S’étonna la petite …
– « Ah mais non !.. Tu ne peux pas aller tuer un mouton ou un agneau !… Il ne t’ont rien fait !… Il faut que tu trouves autre chose !… »
A ces mots le loup se mit à ricaner …
– « Comme tu y vas ! »
Lui dit-il, faisant entendre un grognement de mécontentement.
– « De tout temps les loups ont mangé les moutons et les agneaux et d’ailleurs je te rappellerais que si vous gardez les moutons et les agneaux dans les enclos et les étables c’est aussi pour les tuer et les manger un jour pas vrai ?… »
– « C’est vrai … »
Dit la petite toute contrite.
– « Tu as raison !… Nous aussi nous mangeons des moutons et des agneaux et pour les manger c’est bien vrai que nous aussi nous les tuons … »
– « Ah tu vois bien ! »
Lui répond le loup satisfait d’avoir dit juste,
– « Vous n’êtes pas meilleurs que nous !… Et puis vous, les humains, vous êtes faux !… Vous faites croire aux moutons et aux agneaux que vous les aimez, vous leur faites des tas de simagrées pour qu’ils vous fassent confiance après quoi vous les abattez pour le manger !… C’est lâche !… Nous ne procédons pas de la sorte nous les loups ! Depuis toujours les moutons et les agneaux se défient de nous et ont peur des loups, avec raison car c’est la loi de la nature ! Et de même, les loups pourchassent et mangent les moutons et les agneaux, cela va de pair. D’ailleurs je te demande bien pourquoi seulement les humains pourraient se permettre de manger les moutons et les agneaux et pas les loups !… Il faut bien que nature se fasse et que mangent aussi les loups !… Et maintenant je te remercie pour cet en-cas petite mais comprends moi, il faut que j’aille à la chasse … Je ne puis me sustenter d’un seau de crème et la meute d’ailleurs n’en a pas profité… Cela est contraire à la règle de la collectivité. »
Malgré le raisonnement très logique du loup l’enfant ne pouvait se résoudre à le laisser aller.
– « Non ! »
S’écria-t-elle d’un ton péremptoire.
– « Non !… Je ne veux pas ! Il faut te trouver un autre moyen pour vous nourrir, toi et ta meute ! »
– « Mais… Tu en as de bonnes toi !… Où veux-tu donc que je trouve autre chose qu’un mouton ou un agneau dans une étable ?… Quelques poules ne pourraient nous suffirent, de dindes il n’y en plus !… Je te rappelle que vous les avez toutes tuées après les avoir engraissées pour les manger, farcies, ce soir… Ne dis-je pas vrai ?…
Lui demande le loup d’un ton un rien ironique.
– « Oui, tu dis vrai … »
Constate la petite fille.
– « Ensuite … »
Continue le loup sur sa lancée descriptive,
– « Il n’y a plus non plus de canards, ils sont partis dans les pays chauds. Ni non plus de lapins, ni de lièvres, ils sont blottis dans leur terrier et bien malin le loup qui parviendra à les extraire de là… Les bouquetins, eux, sont cachés dans leurs abris, les sangliers sont trop forts pour nous et nous ne pourrions certainement pas nous attaquer à un cerf, l’hiver et la disette nous ayant rendus fragiles et sans force. De plus, c’est la nuit, c’est l’hiver, il n’y a aucun mouton ni agneaux dans les pâturages et que veux tu que nous mangions d’autre nous les loups ? As-tu une idée à me suggérer, peut-être ? »
– « Eh bien … »
Répond la vaillante enfant.
– « Emporte moi vers ta meute et mangez moi !.. »
Le loup fit entendre un sifflement admiratif. Jamais il n’avait rencontré sur son chemin pareille vaillance ni si étrange humaine. Il avait déjà bien connu le petit chaperon rouge qui lui avait fait confiance, mais là ce n’était pas comparable. Et puis, il devait bien l’admettre en conscience, le petit chaperon rouge, il l’avait bien dupée et abusé de sa naïveté. Il n’était certainement pas près, en tout loup digne de ce nom, de recommencer ce genre d’expérience.
– « Non ! »
Lui répond le loup …
– « Cela m’est impossible. J’ai, jadis, fait une promesse de ne plus jamais m’attaquer aux petites filles. D’ailleurs, tu as été bien gentille et secourable pour moi. Je ne peux pas maintenant te trahir et t’emmener dans le bois pour être mangée par les miens … Cela aussi est contraire à la règle. »
– « Alors ? »
Fit la petite curieuse de connaître la suite du raisonnement de ce loup …
– « Alors ?… »
Répétait le loup …
– « Eh bien … Voici ce que nous allons faire … Toi et moi, nous allons conclure un pacte ! »
– « Un pacte ?… »
Questionne la petite …
– « Une pacte oui !… »
Lui dit le loup sur le ton de la confidence… Et parlant à voix basse comme pour conter un grand secret il se mit à lui expliquer
– « Tu sais que durant la nuit de Noël, à minuit tapant, la Terre s’arrête de tourner durant une fraction de seconde. Durant cette seconde chaque être humain peut recevoir la lumière. Une lumière qui pourra l’éclairer durean toute l’année. Mais pas seulement les êtres humains. Les animaux eux aussi la reçoivent cette lumière. Et ils peuvent la garder, eux aussi, dans leur cœur durant toute une année. A condition bien sûr de la capter au moment précis où celle-ci leur entre dans le cœur. »
– « Je sais … »
Dit la petite fille.
– « Ce n’est pas un secret pour moi … C’est justement pourquoi j’étais derrière la fenêtre à épier et d’ailleurs c’est grâce à ça que je t’ai vu arriver. »
– « C’est alors que nous étions destinés à nous rencontrer. »
Dit le loup, méditant.
– « Et dans ce cas… »
Ajoute-t-il fort de son fait …
– « C’est que nous avions à faire ensemble. Vois ce que je te propose. Au moment où la terre s’arrêtera, toi comme moi nous tâcherons de capter assez de lumière pour pouvoir la transmettre dans les cœurs des humains de tout ton village et dans les cœurs des loups de toute la meute et ceci en abondance pour la totalité de nos respectives collectivités … Qu’en dis-tu petite ?… De la sorte nous parviendrions, toi comme moi, à réaliser un miracle. »
– « Un miracle ! »
S’exclame la petite fille subjuguée…
– « Voilà qui n’est pas courant les miracles ! »
Ajoute-t-elle aussitôt, dubitative.
– « Ah mais tu sais … »
Lui dit le loup taraudé par son idée…
– « Des fois… Des miracles… N’en doute pas… Ils s’en passent !… Et nous allons faire en sorte de réussir celui-ci… Laisse-moi t’expliquer. Dès que nous aurons capté la lumière en suffisance dans nos cœurs, le tien et le mien, nous irons transporter cette lumière toi chez les tiens et moi chez les miens… Et ainsi, les loups deviendront gentils et ne feront plus de mal aux moutons et aux agneaux et les humains deviendront eux aussi gentils et ne feront plus de mal aux loups. Forts de cette nouvelle compromission nous pourrions rentrer dans le village pour l’hiver, toute la meute réunie, et les humains nous garderaient ensemble avec les moutons et les agneaux, en belle fraternité et en bonne compagnie … Nous sommes de bons gardiens sais-tu bien, et nous pouvons nous occuper de protéger les maisons et les fermes … Chaque famille de ce village prendrait ainsi à demeure un des loups de la meute et le nourrirait durant tout l’hiver. En échange, le loup protégerait la ferme des voleurs et des malfrats … Et même, ma foi, d’un loup solitaire et malveillant ou pire… Car il y a pire… Et pas seulement parmi les loups mais aussi parmi les humains… Enfin, l’été arrivant, nous deviendrions les gardiens des troupeaux dans les pâturages … Qu’en penses-tu !?… »
– « Merveilleux !… »
S’exclame la petite ravie.
– « Vraiment c’est merveilleux ! »
– « Mais … »
Ajoute le loup, pas au bout de son raisonnement,
– « A nous deux de ne pas rater la lumière ! »
– « Certes non ! »
Dit la petite bien au fait de l’importance de leur mission respective …
– « Ni moi, ni toi non plus loup… Soyons tous les deux bien attentifs … »
Sur ces mots scellant leur pacte, le loup à pas lents s’approchait de la petite fille, se couchait de tout son long à ses pieds et l’invitait à venir se blottir contre lui pour attendre la lumière sans prendre froid.
L’enfant était très intimidée par l’amitié que lui manifestait le loup. Il avait l’air si puissant, si fort, il avait des crocs si grands et acérés et il avait un pelage si luisant sous les reflets de la neige et des étoiles… Certes, c’était là bête bien dont elle ferait bien de se méfier. Il était d’une grande beauté par ailleurs, ce loup. Mais, curieusement, il n’avait pas l’air du tout dangereux. L’enfant était très intimidée par la force qui émanait de son nouvel ami mais en même temps lui venait l’envie de le caresser …
Ce qu’elle fit et ce que le loup acceptait de bon gré.
– « Tant que tu seras près de moi tu ne risqueras rien… »
Soufflait-elle dans la grande oreille du loup.
– « Restons ensemble jusqu’à la lumière alors. Tant que tu seras près de moi tu n’auras pas froid.»
Lui répondit celui-ci sur le même ton de confidence.



Et tous les deux blottis l’un contre l’autre, dans la neige et à l’abri de la nuit, à l’insu de tout le village, la petite fille et le loup se mirent ensemble à scruter le firmament et les étoiles dans l’attente de la lumière.
Tous deux partageaient à cet instant un moment de grâce et d’éternité.
Le puissant animal et la frêle petite fille semblait comme joints l’un à l’autre dans leur commune quête d’une paix entre les hommes, les moutons, les agneaux et les loups.
Ensemble ils contemplaient le ciel et s’abandonnaient à des rêveries célestes en cette nuit de Noël. Le vent se levait doucement et venait leur chanter ses ritournelles. L’immatérialité et l’irréalité du moment firent oublier à la petite tout comme au loup le froid qui glaçait, la faim qui tenaillait et la méchanceté du monde qui n’apportait qu’amertumes et chagrins sur toute la planète.
Ils rêvèrent ainsi durant un bon bout de temps.
L’enfant n’avait pas froid contre le chaud pelage de l’animal et le loup n’avait pas peur dans la chaleureuse présence de l’enfant.
Elle se disait bien que dans la maison ses parents devaient s’inquiéter de son absence en cette veille de Noël… Et le loup se disait bien que la meute devait l’attendre, impatiente et affamée. Mais la nuit c’était comme refermée sur eux et ils étaient, pour ainsi le dire, seuls tous les deux dans l’univers.
Enfin, brusquement, la lune se montrait et éclairait de ses tendres rayonnements la neige sur les prés et les champs.
– « C’est le moment ! »
Chuchotait le loup.
– « C’est l’instant de la lumière. Préparons nous. »
Et se levant il secouait la neige de son poil et se mit à regarder la Lune très intensément. La petite fille en fit autant.
Les rayons de la Lune éclairaient les toits des fermes et faisaient scintiller la neige d’un éclat bleuté. Tout devenait joli. Tout alentours se faisait magie. La petite fille se tenait debout à côté du loup, sa main posée délicatement sur son cou, contemplant, ébahie, la beauté et la résonnance incomparable de cette nuit de Noël tout à fait unique et particulière. Une nuit comme jamais elle n’aurait imaginé pouvoir en connaître dans sa vie… La Lune, quant à elle, semblait comme habitée d’un pouvoir magique, magnétique. L’enfant croyait rêver …
– « L’histoire de l’heure céleste du Noël est donc bien vraie … »
Se dit-elle en chuchotant.
– « Bien sûr que c’est vrai ! »
Lui répondait le loup sur un même chuchotement,
– « En aurais-tu douté peut-être ? »
– « Non bien sûr ! »
Affirmait la petite,
– « Mais tu sais, parfois, ce que l’on rêve n’arrive pas nécessairement… C’est vraiment magique ! »
Soufflait-elle dans l’oreille du loup.
– « Oui, c’est magique, mais ne nous laissons pas prendre par la seule magie. N’oublions pas notre pacte. Ni notre mission. Il nous faut capter un maximum de lumière afin qu’elle irradie les cœurs de tous les humains du village et de tous les loups de ma tribu. Prépare-toi, c’est le moment. »
En effet, l’intensité de la lumière allait croissante. L’enfant et le loup se faisaient le réceptacle de toute cette irridiscence et en furent comme transcendantés. L’inoubliable seconde du minuit de Noël était à l’œuvre. L’enfant tout comme le loup puisait de toute leur âme l’illumination presque divine qui les sublimait. Puis, tout comme elle avait commencé à luire intensément la Lune s’éteignit peu à peu, son halo de lumière se réduit et elle redevint pareille à elle-même…
Les deux amis, l’enfant et le loup, se regardaient à présent droit dans les yeux, silencieux. Conscients tous deux d’être porteurs en leurs âmes et en leurs cœurs d’un mystère qui allait bien au-delà de l’entendement et de la compréhension tant humaine qu’animale.
Enfin, rompant le silence le premier, le loup dit à l’enfant :
– « A présent tu vas rentrer chez toi et tu vas transmettre la bonne nouvelle… Prépare-toi. Et annonce au village qu’une meute de loups pacifiques va arriver pour lui demander l’accueil, le gîte et le couvert en échange de bons et loyaux services de garde sur leurs vies, leurs troupeaux et leurs biens. Moi, je m’en retourne dans la forêt pour annoncer à la meute que nous passerons l’hiver au village, que nous faisons une trêve avec les moutons et les agneaux, et que nous serons hébergés et nourris par les humains qui n’attenteront pas à nos vies. Va maintenant, et que la chance soit avec nous… A tout à l’heure petite… »
S’apprêtant à reprendre le chemin vers la forêt il se ravisa et ajoutait :
– « Quand nous arriverons, tout à l’heure, tous ensemble dans le village, tu auras peut-être un peu de peine à me reconnaître. Nous sommes tous très semblables nous les loups, tout comme vous êtes tous très semblables vous les humains, même si chacun d’entre nous est unique. Mais je te ferais un signe qui ne pourrait pas te tromper. Je viendrais m’asseoir à tes pieds car j’aimerais pouvoir être hébergé chez toi et garder ton troupeau… »
– « Si tu le veux bien … »
Ajoutait-il encore très humblement.
– « Oh oui bien sûr ! »
Confirma la petite.
– « Désormais, toi et moi, nous sommes amis pour toujours ! »
Ainsi l’enfant s’en retournait vers sa famille, son foyer et le loup reprit le chemin de la forêt et de sa meute.
Arrivée à la maison elle trouvait l’effervescence. Toute la famille était là à l’attendre pour partir à la messe de minuit. Tous avaient déjà mis leurs manteaux, leurs bonnets, leurs gants et leurs écharpes. Toute enneigée du capuchon aux bottes la petite fille faisait l’effet d’une apparition. D’autant que la lumière céleste qu’elle avait emmagasinée la faisait brillante et scintillante pareille à une des plus belles étoiles dans le ciel. La famille en restait tout bonnement stupéfaite, abasourdie, et ne pipait mot … Comment d’ailleurs l’aurait-elle pu ?… Il émanait de l’enfant une telle paix que cette paix s’en allait de suite irradier les cœurs de tous les membres de sa famille. Nulle remontrance, nulle observation ne suivait son retour auprès d’eux. Au contraire, un grand silence se fit.
C’est la mère la première qui le rompît disant à l’enfant :
– « Débarrasse toi mon petit, tu es toute enneigée … Tu vas changer de manteau pour partir. Celui-ci est trempé. Et puis raconte nous … Que t’est-il arrivé ?… Nous nous inquiétions de ton absence… »
– « J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer à tous … A tout le monde, pas seulement à vous ici mais à tous les gens du village réuni … »
– « Une bonne nouvelle ? »
Questionnait le père.
– « Qu’est ce donc que cela ? »
– « Il me faut parler à tout le monde papa. Et je crois que pour ce faire le meilleur endroit sera l’église. Tout le village, à cette heure de minuit, y est réuni. D’ailleurs je vous ai mis en retard à rester dehors. Allons-y vite. Ceux qui n’y seront pas nous les ferons chercher. Une fois tout le village rassemblé je parlerais à tout le monde, je communiquerais à la totalité de la collectivité la bonne nouvelle que j’ai à vous apprendre. »
– « Cette enfant est inspirée ! »
Dit la mère-grand dans un souffle.
– « Voyez comme émane d’elle une belle lumière ! C’est Noël !… C’est la lumière de Noël, celle qui descend au moment du minuit, à cette fraction de seconde où elle apporte la Paix sur la Terre aux hommes et aux femmes de bonne foi et de bonne volonté !… Il nous faut l’écouter !… Allons-y tous !… »
Et après avoir changé de manteau la petite fille et la famille se mirent en route vers l’église, l’enfante ayant pris la tête du groupe. Sa petite personne éclairait le chemin tellement elle était remplie de toute la lumière qu’elle avait à partager avec les villageois…



Le loup de son côté arrivait près de sa meute. Lui aussi fit forte impression dès qu’il débouchait des taillis. Aucun grognement de mécontentement ne saluait son arrivée, bien au contraire, alors que toute la meute était debout, poil hérissé sur les échines et crocs brillants dans la nuit noire, l’apparition du grand loup, chef de la meute, fit se lisser les poils et rabattre les babines sur les mâchoires. Et tous les loups se mirent d’un même mouvement assis en rond autour du grand loup venu leur apporter la bonne nouvelle. Il émanait de lui une si formidable lumière qu’elle fit se taire jusqu’au moindre signe de désapprobation dans le plus loin des rangs de la meute.
– « Amis !… »
Commençait le loup,
– « J’ai à vous parler … »



Simultanément, dans l’église où tous le villageois furent réunis, la petite fille commençait par les mêmes mots. S’adressant à l’assemblée médusée par cet évènement hors nature et habitus elle disait elle aussi :
– « Amis, j’ai à vous parler … »



Et dans la forêt tout comme dans l’église, au même instant, les loups comme les humains apprirent, les uns de la gueule du loup et de sa voix râpeuse et aboyant et les autres de la voix douce et convaincante de l’enfant que désormais les loups, les moutons, les agneaux et les humains deviendraient amis, seraient solidaires, compteraient les uns sur les autres et se protègeraient les uns les autres. Les loups ne seraient plus affamés, les moutons et les agneaux ne seraient plus menacés et les humains seraient protégés par ce tout nouveau pacte qui allait être instauré d’emblée en cette merveilleuse nuit d’un Noël très particulier …
En sortant de l’église quelle ne fut pas la stupéfaction des villageois de trouver là, sur le parvis, toute une meute de loups rassemblée, confiante mais non subordonnée, amicale mais non docile, fraternelle mais non soumise…
Le loup faisant tête du groupe s’en détachait et venait vers la petite fille auprès de laquelle il vint s’asseoir, hardi mais paisible, comme il fut convenu. A ce signe, les loups se mirent en mouvement et chacun d’eux allait se ranger auprès d’un groupe de villageois composant une famille au grand complet. Il y en avait tellement de loups que chaque famille du village pouvait trouver le sien. C’était vraiment une scène extraordinaire que de voir tous ces loups se dirigeant à lentes foulées vers les groupes de villageois rassemblés devant le portail de l’église. Et personne n’avait peur, ni hommes, ni femmes, ni enfants, ni loups ne se craignaient plus l’un l’autre. Même monsieur le curé fut servi. Une vieille louve un peu grisonnante se dirigeait vers lui et le curé, nullement effrayé, l’attirait vers lui d’un geste paisible et conciliant. Et chaque famille se mit en route vers sa demeure pour y fêter Noël, accompagnée d’un loup qu’elle adoptait parce que le loup avait adopté la famille et s’en faisait le gardien.
Avant que le cortège de villageois ne se mette en mouvement, le silence fut rompu par le curé qui eut encore à dire ceci à ses paroissiens :
– « Villageois n’oubliez pas !… Noël est la fête des réconciliations … Noël, c’est une lumière pure et paisible qui vient irradier nos cœurs durant les longues nuits d’hiver, une petite lumière qui grandit en nous, de l’intérieur, et qui nous éclaire le chemin que nous avons à emprunter dans nos vies de tous les jours, à l’extérieur… Ne l’oubliez jamais … Toute l’année durant, et jusqu’au prochain Noël, nous serons éclairés en nos âmes de cette lumière. Qu’elle vous permette d’être bons les uns pour les autres, bons, généreux et justes !… C’est cela le vrai message de Noël, il n’y en a point d’autre !… »
Sur quoi tout le monde enfin se mit en route et les gens, renforcés en leurs âmes de ce magnifique message de la Nativité, rentraient dans leurs maisons où ils allaient consommer le repas de fête et de bonté. Et chaque année ainsi, au moment du minuit, au moment divin, à la nuit de Noël, la grâce de la lumière garantissait la trêve entre les loups, les moutons et les humains …



Un grand silence se fit dans le petit logis …
Adélie restait muette, éblouie et muette …
Enfin, retrouvant la parole elle dit à sa maman :
– « Mon dieu maman !… Quelle belle histoire !… Quelle magie, quelle féerie !… Et comme tu racontes bien … Je me suis sentie littéralement projetée dans ton histoire, je me sentais dans la peau de la petite fille … Comment s’appelait-elle dis moi ?… »
– « Disons … »
Dit la maman encore toute émue elle-même de cette belle histoire …
– « Disons qu’elle s’appelait Adélie quand je te la raconte à toi … Et qu’elle portera le nom de toutes les petites filles comme toi quand on la leur racontera, toutes ces petites filles qui sont capables, comme tu l’as fait, de recréer la magie de Noël dans le cœur de leurs mamans, de leurs parents, de leurs amis et de tous les villageois réunis … »
Adélie soupirait …
Oui, la magie de Noël, c’est bien vrai que c’est une question de personnes. Tout qui peut porter dans son cœur un peu de lumière et la partager avec autrui est comme la petite fille amie du loup …


– « Seulement vois-tu… »
Continuait la maman comme pour faire écho aux réflexions de son enfant,
– « Seulement vois-tu, les choses ont bien changé depuis … La trêve entre les loups, les moutons et les humains s’est usée, dénaturée, érodée … Les loups sont pourchassés, tués pour leur pelage et menacés de disparition … Les moutons et les agneaux sont gardés par centaines dans des enclos où ils attendent sans ménagements d’être abattus par des humains qui eux sont devenus des loups pour eux-mêmes et pour l’humanité entière… Et la grâce de Noël passe chaque année sans que plus personne n’y prenne garde … Les gens sont devenus pressés, et n’accordent plus de temps aux finesses et aux beautés des préparatifs de la fête de Noël. Ils achètent tout et plus rien ne se fait dans la maison et c’est ainsi que le mystère s’est évaporé dans le ciel de l’hiver… Ils se bousculent dans les magasins, ils se marchent dessus, se ruent sur les produits qui leur sont proposés, ils ne pensent plus qu’à cela, ne parlent plus que de cela et oublient complètement le sens de la fête… Ils ne perçoivent plus la lumière, n’écoutent plus les histoires, ne se transmettent plus les traditions et les magies des journées de l’Avent et le soir de Noël plus personne n’attend près de la fenêtre l’apparition de la lumière en cet ultime seconde où la Terre s’arrête, furtivement, de tourner. Ils n’ont plus le temps pour cela …
« Et maintenant …
Continue encore la mère…
– « Les spéculoos, les pains d’airelles et les pains d’épices, les dindes et tous ces délicats artifices de Noël sont achetés tout prêts et tout préparés dans les usines et les présents pour les enfants sont devenus de plus en plus chers, de plus en plus coûteux et les parents ne peuvent les acheter qu’au prix de lourds sacrifices et en travaillant dur, au prix de leur santé et de la joie d’une famille unie toute l’année durant. Et ainsi pour compenser le temps qu’ils ne peuvent plus accorder à leurs enfants ils acquièrent ce qui leur manque sans jamais y parvenir et plus ils se procurent de choses, tu comprends, plus la fête de Noël perd de son sens …
« Et plus elle perd de son sens, plus aussi elle perd de sa magie. Et les froids et les frimas de l’hiver ne sont plus compensés par les chaleurs des foyers et des cœurs ni par les histoires que l’on se raconte devant le feu le soir, et la froidure se fait de plus en plus insistante et dense dans les maisons, et dans les rues, et dans les villes, et dans les pays et sur la terre entière …
« Et la vie se fait de plus en plus rude et rigoureuse et dénuée de sens et plus que jamais. Pourtant les gens achètent de plus en plus et croient même pouvoir acheter le bonheur alors que le froid enveloppe de plus en plus les âmes des humains et que de plus en plus de gens sont seuls, et tristes et sans compagnie les soirs de Noël, et tous les soirs d’hiver … Et tous les soirs de leur vie …
« C’est ainsi que Noël est devenue la fête la plus sacrifiée à la consommation de biens de toutes sortes à commencer par ceux-là même qui se vendent pour la bien fêter … Il y a des règles, des manières, des façons autres, de nouveaux rituels qui font de cette fête une débauche de de méthodes, d’astuces et d’objets tous plus inutiles les uns que les autres et dans cette fièvre l’on oublie qu’il y a plein de gens qui en sont exclus, qui ne peuvent y participer … Tu vois ?…
– « Bien sûr maman, je vois … Et je comprends aussi … Tout !… »
Dit Adélie pensive …
– « Moi, tu le sais… »
Continue la mère sur sa lancée …
– « Je ne suis pas croyante … Je veux dire que je ne prie pas, je ne vais pas à l’église, je ne fais pas de bonnes œuvres, je ne chante pas de cantiques … Mais j’ai en moi une foi … Celle du bien … Celle de la vie … Et je crois que faire le bien c’est d’abord commencer par le faire en vivant bien, dans la dignité et le respect de la vie et d’autrui… Enfin, je veux dire, en construisant sa vie et en permettant que l’autre la construise aussi … Je l’avais un peu oublié cela …
« Et je me sens bien contente d’y être revenue ce soir même, ce soir de Noël … Grâce à toi … Prier, par exemple, je crois que c’est quelque chose que l’on fait à chaque fois que l’on pose un acte juste, et le premier acte juste c’est de remercier la vie d’être en vie … Je ne t’ennuie pas ma fille de penser ainsi tout haut ?…
– « Mais bien sûr que non maman !… »
Réplique la petite …
– « Et puis, tu parles si bien, comme tu parles bien maman !… »
Ajoute-t-elle ravie en joignant les mains et en regardant sa mère d’un regard ébloui ce qui fait sourire la maman percluse de gratitude …
– « Ma chérie, j’ai bien failli manquer cette belle soirée à nous retrouver … »
– « Oui … »
Dit la petite,
– « Heureusement que le père Noël s’en est occupé ! »
Et les voilà à nouveau partie d’un grand éclat de rire joyeux …
– « Il va bientôt être minuit. L’heure de la lumière … L’heure de la magie …»
Dit la mère …
– « Et si nous écoutions justement les cantiques, ils les diffusent à la radio … Je suis certaine qu’en tournant un peu le bouton à la recherche d’une station nous parviendrons bien à écouter une messe de minuit … J’aime beaucoup moi les chants des orgues et les chœurs d’enfants … »
– « Moi aussi maman !… Et puis, c’est la plus belle des musiques pour danser aussi … Ce soir à l’Académie, c’est sur un conte mis en cantique de Noël que j’ai dansé avec mon ballet … C’était joli !… Dommage que tu n’étais pas là … »
Ajoute Adélie un peu triste …
– « J’y serais ma fille, dorénavant je ne raterais plus un seul de tes spectacles … Je suis très fière de toi tu sais … »
– « Oh maman, quand tu viendras me voir je danserais encore mille fois mieux !… Je serais ta petite étoile !… »
Et sur ces mots la petite se lève, écarte sa chaise et fait pour sa mère quelques jolis pas de danse en tournoyant dans la pièce. Puis elle revient se blottir contre sa maman, dans ses bras, tout bien au chaud, lui donnant un doux et long baiser sur le front.
– « Tu l’es déjà ma fille, tu es déjà ma petite étoile … Et tu es aussi ma bonne étoile … Allons, voyons voir ce que la radio nous propose comme chants de Noël ce soir … Et peu avant minuit nous irons nous poster sur le trottoir et regarder le ciel … Et nous capterons la lumière, comme l’ont fait la petite fille et le loup… Comme devrait le faire la terre entière, au même moment, au même instant, dans une planétaire communion d’esprit… Ah … Si seulement ce temps bénis des vrais Noël pouvaient nous revenir… »
Et sur ces mots plein d’espoir les voilà toutes deux à chercher sur le petit transistor une émission qui leur offrira des cantiques en attendant l’heure de minuit …

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RED_BAKKARA

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Droits d’Auteur

Voir à la page d’accueil …

(Car bien entendu, il y en a hein !… Soyons sérieux !)

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Il y a des Noëls -(2)-

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(Suivant épisode)

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Il y a des Noël sans Rires

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Elle ne flânait plus Adélie. Sur le chemin qui restait vers la maison, elle allait d’un pas vif et alerte. Elle avait hâte à présent de rentrer, de retrouver sa maman. Elle en aurait des choses à lui raconter … Sauf les cadeaux bien sûr… Elle les garderait dans son cœur et dans son espérance …

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Arrivée devant la porte de la maison quel ne fut pas son étonnement de trouver celle-ci grande ouverte !… La propriétaire sur le seuil, les pieds dans la neige, scrutait le fond de la rue, la main en visière au dessus des yeux. Voyant la petite arriver, elle se précipitât vers elle lui demandant d’un ton brusque :

– « Mais enfin d’où sors-tu donc ? Voilà au moins une heure que tu aurais du être revenue … Ta maman est au plus mal … Rentre ! »

Et d’une ruade elle poussait l’enfant vers l’escalier qui allait vers le sous-sol …
Mon Dieu ! Maman !…

Que lui était-il donc arrivé ?…
Poussant la porte vers leur logis elle y trouvait le médecin debout près du lit. Sa maman, allongée, avait le visage blanc comme de la craie … Le cœur d’Adélie se mit à battre la chamade…
– « Maman !… »
S’écria-t-elle bondissant vers le lit et s’y agenouillant pour mettre sa tête contre celle de sa mère …
– « Docteur ?… Que se passe t il ?… »
Hoqueta-t-elle déjà en larmes en levant son pauvre petit visage vers le praticien … Puis se retournant vers sa mère, sanglotant, elle mit son bras délicatement sous le cou de la femme alitée et lui murmura dans l’oreille :
– « Maman, maman, parle moi je t’en prie.. Maman … Il faut que tu reviennes ne reste pas là où tu es …
Mais la mère gisait, comme inconsciente, partie dans un rêve éloigné…
– « Docteur !… »
Cria alors Adélie !…
– « Il faut aider ma maman !… »
– « C’est pour ça que je suis là ma chère enfant, mais je crains que ta maman ne soit très gravement malade cette fois ci … »
Le médecin connaissait bien la petite, depuis les années qu’il soignait la mère il avait eu le temps de connaître er d’apprécier les qualités de la petite fille…
– « Il faudra que tu sois très forte … Pour elle … »
Etre très forte ?…

Pour maman ?…

Mais Adélie était très forte pour maman !

Depuis des années déjà Adélie était très forte pour sa maman.

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Elle ne se plaignait jamais, ne pleurait que seule dans son oreiller la nuit pour ne pas que maman entende son chagrin, elle se levait tôt, faisait les tâches, lui apportait son déjeuner avant de partir à l’école et de ses doigts de petite fille elle aidait maman à tricoter les chandails. C’était elle qui faisait tous les droits de manches et les dos et puis elle cousait aussi, les boutons … Elle lui racontait des histoires après avoir fait sagement ses devoirs à la table, sous la lampe, le soupirail ne donnant jamais assez de lumière pour y voir au plein jour …
Adélie était forte, pour elles deux.
Elle faisait les courses, ravaudait les vêtements et les bas … Elle savait faire Elodie, elle savait faire tout cela … Que pouvait-elle faire encore, que pourrait elle faire de plus encore ?…
– « Mais docteur maman ?… Elle va vivre oui ?… Elle doit vivre oui !… Elle doit vivre encore ! »
– « Sans doute oui … »
Dit le médecin …
– « Mais pour cela il faut qu’elle le veuille encore … Le comprends tu cela ?… Ta maman est fatiguée, usée, bien plus dans son cœur et son âme que dans son corps … C’est la tristesse … Le chagrin … La seule médecine que je pourrais lui administrer serait une dose de vie, de désir de vie… Mais je crains qu’elle n’en ait plus vraiment le goût. Il y a des années que ta maman glisse vers le bas vois-tu … »
Glisser vers le bas ?… Elle regarda sa mère étendue dans le lit … Glisser vers le bas ?… Quel mystère se cachait derrière ses mots ?… Où allait-elle glisser sa maman ?… Adélie ne comprenait pas non … Pourquoi maman ne voudrait-elle plus vivre ?… Adélie avait besoin d’elle !… Il fallait que maman vive !…
– « C’est ma faute ! »
S’écria Adélie …
– « Maman a du me croire perdue, j’ai traîné là-bas au coin de la rue, à regarder les magasins … J’ai … J’ai parlé au père Noël !… Il était là, il était si gentil, j’ai tardé oui … Et maman à du croire que je n’allais pas revenir … Mon dieu !… Qu’ai-je fait ?… »
– « Mais non, mais non voyons ce n’est pas ta faute … »
Lui dit le docteur d’une voix apaisante …
– « Non va !… Tu n’y es pour rien … Le désir de vie est chose personnelle. Il y a des gens qui le gardent jusque dans les flammes de l’enfer et d’autres qui le perdent en chemin … Qui ne peuvent plus, ne veulent plus le conserver … Ta logeuse m’a appelé vers quatre heures de l’après midi, ta maman a voulu se lever et sortir semble-t-il dans le froid et à peine couverte … Elle disait quelle irait te rejoindre … Mais tu comprends, elle n’aurait pas fait dix pas qu’elle se serait effondrée … »
– « Elle voulait me rejoindre ?… »
– « C’est ce qu’elle disait oui … Elle ne cessait de répéter que tu dansais ce soir à l’Académie, et qu’elle voulait te voir … Mais peut être aussi avait elle une autre idée en tête … Je ne pourrais te le dire … Quand ta propriétaire m’a téléphoné j’ai accouru de suite, te sachant partie, et depuis je suis là… Je l’ai ramenée au lit, lui ai donné un médicament pour l’apaiser et depuis lors, elle dort … »
– « Et depuis lors, elle dort … »
Répétait Adélie comme en écho …
– « Je dois l’aider docteur !… Je dois l’aider, je vais l’aider, il faut que je l’aide ma maman !… Elle ne peut pas vouloir glisser vers le bas, je suis là, elle a besoin de moi mais j’ai aussi besoin d’elle … C’est le père Noël qui me l’a dit … Nous avons besoin l’une de l’autre … Nous allons nous en sortir, il faut que je lui donne l’envie de revenir, elle ne peut pas rester là où elle est, elle va mourir là où elle est et je ne veux pas rester sans elle dans la vie, ce n’est pas possible … »
Et sur ces mots, l’enfant enfonçait son visage près de celui de sa mère et ses frêles épaules secouées de sanglots lui chuchotait des mots doux dans le cou…
– « Maman tu m’entends ?… Ecoute moi … Il faut que tu m’entendes … J’ai rencontré le père Noël maman, et il m’a dit que tout irait bien !… Il était très gentil, je suis sûre qu’il ne m’a pas raconté des histoires tu verras … Quelque chose va se passer, maman, quelque chose va nous arriver, quelque chose de très bien … Je t’en prie petite maman, ouvre les yeux bien grands, regarde, je suis là, c’est moi, Adélie … »

*
Mais à part le souffle très léger de sa respiration contre les cheveux de l’enfant la mère ne fit entendre aucun son …

*
– « Bien … »
Dit le médecin en se raclant la gorge, ému et chagriné par ces évènements dépassant de loin ses compétences de bon vieux médecin des familles pauvres. Ah, il en avait vu déjà lui des mamans perdant le goût de vivre … Bien sûr il y en avait d’autres, des vaillantes, des battantes, de celles, entreprenantes, que même un loup furieux n’aurait pas effrayé. Mais il y avait aussi ces âmes délicates et transparentes, celle dont le glaive du chagrin, de l’adversité et de la misère sans cesse renouvelés avait tranché net le souffle qui porte vers la lumière et le désir de rejaillir des peines et des épreuves. Il l’aimait beaucoup cette petite dame toute fine et légère qu’il soignait depuis tant d’années. Il avait l’impression de la porter à bout de bras, tentant à chaque fois de lui redonner force et vigueur …. Mais force et vigueur ne se trouvait dans nulle médication … Il fallait une motivation… Le bon docteur déplorait bien sûr que celle-ci ne puisse venir du désir de faire grandir la petite, de la mener à bon port mais pouvait-on juger ?… Pouvait-on dire que celle-ci, prostrée et défaillante qui de détresse se laissait mourir valait moins que celle-là, vaillante et forte qu’aucun coup dur n’empêchait de rebondir ?… Certes non … Nul n’avait pouvoir ni droit de jugement. La vie est ainsi faite, elle choisit ses proies, et quoi qu’il en soit des volontés tout autour, si le courage de continuer la route faisait défaut, nul au monde ne pouvait ni condamner ni bannir, ni non plus apporter le remède pour ressurgir …

*
– « Bien… »
Répéta-t-il une fois de plus …

Où allait-il à présent chercher les mots pour consoler cette pauvre petite qu’il avait vue grandir dans l’ombre du chagrin de sa maman ?… Comment lui dire ?… Et nous étions soir de Noël en plus … Ce qui n’arrangeait jamais rien aux chagrins des humains … Bien au contraire … Il n’était pas rare que ces soirs de fête le docteur retrouve l’un ou l’autre de ses pauvres hères n’ayant plus goût à la vie engoncé dans leur détresse, certains allant même jusqu’à abandonner ce soir là, et une fois pour de bon, la vie …
– « Ecoute moi … Voici ce que nous allons faire … A présent que te voilà revenue je peux te laisser avec elle … Elle dort d’un sommeil léger et se réveillera sans doute plus tard dans la soirée … Il me faut aller, d’autres encore attendent mes soins … Un enfant pas loin d’ici est très malade lui aussi et j’ai promis à la maman de passer les voir … Mais toi … Ce soir … »
Il s’emberlificotait dans ses paroles …

Il n’y avait pas de paroles …

Pas même des actes …

Seul l’espoir présidait ici ce soir …

Et c’était soir de Noël, soir de tous les espoirs …

*
– « Tu vas rester près d’elle … Je reviendrais plus tard … Dès qu’elle se réveillera tu lui feras du thé, et tu lui raconteras des histoires, je sais que tu aimes les raconter … Je vais demander à ta propriétaire de vous descendre un chauffage d’appoint, un peu de chaleur en plus vous fera du bien à toutes les deux et elle peut bien faire cela un soir de Noël pas vrai ?… »
Il fouillait d’un geste fébrile dans la poche de son grand manteau et en sortait quelques pièces de monnaie qu’il déposait sur la table d’un geste discret.
– « Voici … »
Lui dit-il …
– « Va vite jusqu’au petit magasin du coin je t’attends ici, j’irais voir la logeuse de ce temps là… Et achète là-bas ce que tu veux, ce qui te fera plaisir, ce que tu crois qui ferait plaisir à ta maman … »
– « Oh mais … »
Dit Adélie soudain toute en joie :
– « J’ai des Cougnolles Docteur !… Trois belles Cougnolles grandes comme des pains maison !… C’est le père Noël qui me les a donné pour maman et moi ce soir … Je n’ai pas besoin de l’argent va … »
Sa maman lui avait toujours appris qu’il ne fallait jamais accepter d’argent de personne lui expliquant que l’argent, une fois reçu et dépensé, il était difficile de le retrouver pour le rendre et que dès lors que l’on ne pouvait le restituer l’on devenait l’obligé de celui qui l’avait donné …
– « Prends ces pièces jeune fille et va !… »
Dit le docteur d’une voix étranglée, sentant bien la réticence de l’enfant à l’accepter …
– « Je te le donne pour toujours il est à toi !… A vous deux !… Achète ce que ton cœur souhaite et tâche de t’arranger pour que cela s’accommode bien avec ces belles « Cougnolles » que le père Noël t’a donnés !… M’entends-tu ?… Tu ne me dois rien, ni ce soir, ni demain, ni jamais !… Allons … Pressons … Je suis attendu plus loin … »
Sur ces mots le docteur sortait et prenait l’escalier pour se rendre chez la propriétaire au rez-de-chaussée. Adélie se relevait du lit de sa mère où elle était restée agenouillé tout ce temps, lui caressait doucement les cheveux, qu’elle avait longs et noirs comme les siens mais qui à présent était tout défaits et éparpillés sur l’oreiller. Se penchant vers sa maman elle lui soufflait à l’oreille :
– « Maman … Ecoute … Je sais que tu m’entends de là-bas où tu glisses. Je vais aller acheter du chocolat, et du lait, et du sucre tu verras … Et je te préparerais du cacao, comme tu sais si bien le faire toi !… J’achèterais du beurre aussi, je crois qu’il y aura assez d’argent pour cela … Et je te ferais de belles tranches de Cougnolles que je beurrerais … Et puis tiens, s’il y a assez d’argent j’achèterais aussi de la confiture de Framboise, celle que tu aimes le mieux, et j’en mettrais sur les tranches, avec le beurre et le cacao, maman, ce sera si doux, si bon … Et le docteur va nous ramener un chauffage, nous aurons chaud… Je dresserais la table, je la mettrais près du poêle, j’y mettrais la belle nappe blanche et dorée que tu gardes dans le tiroir de la commode, je ferais attention à ne pas la salir tu verras … Et je prendrais aussi tes belles assiettes, celles qui ont des liserés dorés … Je nous ferais une table de fête maman, ce soir c’est Noël et nous serons bien toutes les deux … Et puis attends … »
Ajoute-t-elle se dirigeant dans le fond de la pièce où se trouvait un vieux transistor …
– « Je vais allumer la radio !… Ce soir c’est Noël, je suis sûre qu’il y aura de la musique comme tu l’aimes … Elle te réchauffera le cœur maman, et tu auras un peu de joie … »
Tout en parlant elle allumait l’appareil et se mit à chercher en tournant le bouton sur la ligne crachotante des émissions où elle trouverait de la musique ou des cantiques de Noël …
Tout à coup des chœurs d’enfants s’élevèrent dans la pièce …
– « Ecoute ma petite maman ! »
Dit la petite fille revenue près du lit.
– « Ecoute !… Ils chantent !.. Ils chantent les enfants !… Ils chantent Noël !… C’est pour toi !… »
La maman d’Adélie ne bougeait toujours pas, ne répondait pas mais Adélie restait forte et confiante …
Elle se disait que maman devait laisser venir tout au fond d’elle les chants du chœur et même sa propre voix à elle … Qu’il faudrait du temps pour que les voix, la sienne d’abord, aille jusqu’à son âme de maman qui avait glissé si loin ce soir, comme l’avait dit le brave médecin … Il fallait que les chœurs, et sa propre voix, aillent retrouver la vie loin là où sa maman l’avait laissé glisser …

Il le fallait oui…
Elle voulait avoir confiance …
Elle voulait croire que tout allait bien aller maintenant, c’est le père Noël qui le lui avait dit … Et le père Noël ne mentait pas. Il ne faisait pas de promesses en l’air. Il savait bien lui que promettre et ne pas tenir c’était bien pire que de ne rien faire ni donner ni dire … Forte de ces espoirs elle enfilait son manteau après avoir pris soin de couvrir les Cougnolles d’un essuie propre…
Puis elle ramassait l’argent sur la table. Au jugé elle voyait dans sa paume qu’il y avait de grosses pièces dans le tas et sourit se disant que sans nul doute elle pourrait acheter de la confiture aussi. Puis elle mit ses gants, son bonnet, et remontait le petit escalier de pierre menant dans le vestibule. Après s’être assurée d’avoir la clé de la maison dans sa poche, et après un dernier regard vers sa mère toujours immobile dans le lit, elle refermait la porte, ouvrit grande celle donnant sur la rue et allât d’un bon pas vers le magasin du coin.

*

*
De loin elle voyait qu’il était encore ouvert !..
Quelle chance !…
Elle allait pouvoir faire des emplettes extraordinaires …
De celles que l’on ne fait jamais…
Ou alors un soir comme celui-là, un soir de Noël …

Quand on a de l’argent …

*

*
Arrivée dans le magasin, la dame derrière le comptoir la regardait et lui dit :
– « Adélie ?… Mais ?… Que viens-tu faire ici ? J’ai vu entrer le docteur Maillote dans ta maison … Je me demandais … Ta maman ?… »
– « Tout ira bien Madame Francine … Maman a glissé … C’est le docteur qui l’a dit … Mais elle va se relever … Je veux le croire … »
– « Elle a glissé ? Comment cela ? Elle est tombée ?… Elle ne va pas bien ?… Et où étais-tu toi ?… Ta propriétaire est venue ici par deux fois demander si je ne t’avais pas vue passer ?… »
– « J’étais à l’Académie Madame, je dansais ce soir … Et j’ai un peu traîné sur le chemin … Vous comprenez … J’ai rencontré le père Noël !… Et nous avons parlé … Et il m’a promis que tout irait bien lui aussi … »
– « Le père Noël ?!…. Aaah Aaaah Aaaaah !… Le père Noël !.. Ben alors là ma pauvre !… Elle est bien bonne celle-là !… »
S’écria madame Francine partant d’un grand éclat de rire.
– « Entendez vous ça !.. Elle a rencontré le père Noël !… Eh, Gaston, viens donc voir ici !… Adélie a rencontré le père Noël ce soir !… »
Et se tenant le ventre à deux mains elle se mit à rire de très bon cœur … Au point qu’Adélie se sentit vraiment vexée …
– « Il ne faut pas rire, Madame Francine !… Je l’ai vraiment rencontré et il m’a parlé … Beaucoup … Il m’a raconté les rennes, et son pays, et les enfants de maintenant qui ne sont jamais contents … »
– « C’est vrai ça !… »
Rétorque Mr. Gaston arrivé sur ces entrefaites,
– « Qu’as-tu donc Francine à rire ainsi de la gosse !… Il est tout à fait normal de rencontrer le père Noël un soir de Noël enfin bon !… N’aurais-tu plus toute ta raison de t’esclaffer et de te moquer de cette enfant !?… Je te le demande … »
Ainsi rabrouée par son mari, le gentil Monsieur Gaston qui aimait beaucoup Adélie, Madame Francine alla se renfrogner derrière son tiroir caisse, se le tenant pour dit.
– « Tu es venue pour quoi dis moi Adélie ? »
Lui demande Mr. Gaston …
Rougissante de cet intermède peu amène, Adélie avait un peu perdu de vue le but de son passage au magasin.
– « C’est-à-dire … »
Commence-t-elle …
– « Que je suis venue chercher quelques courses pour ce soir … »
– « Des courses ? »
Fit entendre à nouveau la voix moqueuse et acerbe de l’épicière.
– « As-tu de l’argent seulement ?… Tu sais bien que la maison ne fait pas crédit pourtant !?… »
– « A-t-elle jamais fait crédit chez nous Francine, la petite ?… »
Rétorque monsieur Gaston.
– « Euh … Non … Il est vrai … »
– « Alors … »
Continuait Monsieur Gaston cette fois pas content du tout,
– « Je te prierais de vouloir bien taire ta méchante langue pour que je puisse écouter ce dont Adélie a besoin … »
Le silence se fit dans le magasin. La femme restait dans son coin, derrière le comptoir et Adélie s’approchait de Mr. Gaston tout en sortant de la poche de son manteau tout l’argent que le docteur lui avait donné.
– « Voici, Monsieur Gaston, voici mon argent. J’aimerais, si possible, pour cet argent, deux litres de lait entier, un paquet de cacao en poudre, vous savez bien, celui qu’il faut cuire et puis un kilo de sucre, une livre de beurre doux et un pot de confiture de framboise. »
Son cœur battait à se rompre. Jamais, elle n’en avait souvenir, jamais elle n’avait acheté autant de choses luxueuses en même temps.
– « Ah mais dis moi donc … »
Répondait Monsieur Gaston.
– « C’est un festin que tu vas nous préparer toi !… Seulement ne crois-tu pas avoir oublié quelque chose dans ta liste ?… «
– « Oh je ne pense pas Monsieur Gaston. C’est déjà bien assez comme cela. Si l’argent suffit je serais bien contente … »
– « Sans doute … »
Lui répond le brave homme,
– « Mais … Il te faut du pain pour mettre le beurre et la confiture, ou alors il te faut de la farine pour faire des crêpes non ? Et des œufs ?… Qu’en dis-tu ? »
– « J’ai des Cougnolles Monsieur Gaston !… »
Répond l’enfant toute fière se redressant,
– « Trois belles grandes Cougnolles !.. C’est le père Noël qui me les a données !… Elles sont géantes vraiment !… »
Et de ses deux mains écartées elle montre à l’homme la dimension des Cougnolles.
– « Aux raisins et aux cristaux de sucre imaginez !… »
– « Ah mais voilà la belle nouvelle petite !… Quel brave homme que ce père Noël que tu as rencontré là… Bien … Alors nous disions … »
Continue-t-il en se rendant dans les rayons derrière :
– « Deux litres de lait entier … Voilàààà … Puis … Un kilo de sucre semoule …. Voiciiiiii … Un paquet de cacao en poudre … Une livre de beurre … Et un pot de confiture de framboise … As-tu pris un cabas cependant parce que voilà bien des choses à porter à mains nues ? »
– « Eh non monsieur Gaston, je n’y ai pas songé … Je suis partie un peu dans la précipitation … »
– « Ce n’est pas grave tu sais … Les épiciers ont toujours des cabas … Regarde … Je place tout dans celui-ci et tu nous le ramèneras demain ou lundi, à ton choix … »
Ce disant il se met à remplir un grand panier en osier des produits qu’Adélie venait d’acheter. Une fois fini il allait vers la caisse, pointait les denrées et arrachait le ticket qu’il déposait sur la grande vitre du comptoir, tout au dessus. Ensuite il se mit à compter l’argent qu’il y avait déposé et en retirait la somme qu’Adélie devait payer pour ses achats.
– « Voilà qui est fait !… »
Dit monsieur Gaston.
– « Et à présent … »
Ajoutait-il,
A mon tour d’être ton père Noël.

Et devant la mine médusée de madame Francine qui s’écria d’un sonore :

– « Mais !!!… »
Laissant entendre ainsi sa désapprobation, le regard furieux et courroucé de monsieur Gaston y mettant radicalement fin de manière péremptoire …

L’homme se dirigeait dans le comptoir de crèmerie et charcuteries où il se mit à couper quelques tranches de jambon et des tranches de gouda. Puis il saisit une cuillère et servit dans un ravier des raviolis maison, tout un tas, ajoutait encore à cela une belle tranche bien épaisse de pâté de gibier, un petit pot de confit d’airelles et un magnifique saucisson. A quoi il ajoutait encore un carton de 12 œufs, un gros pain ménager et un sachet de fromage râpé.
Enfin, derrière lui dans le rayon il prit un kilo de farine et une boîte de sucre en morceaux qu’il ajoutait aussi dans le panier. Ensuite, se dirigeant vers les fruits et légumes il y choisit quelques belles pommes, des poires, une grappe de raisins noirs, un grand et odorant ananas, quelques belles oranges et des bananes …
Pour finir, prenant l’escabelle, il fouillait dans les rayons du dessus et redescendait les bras chargés de deux belles boites en fer remplies l’une de biscuits, l’autre de chocolats fantaisie, d’une grande bouteille de sirop de fruits rouges et de trois paquets de jolis macaronis tout frisés et colorés. N’en restant pas là il prenait encore au passage deux boîtes de tomates pelées et une petite boîte de concentré, une boite de filets de maquereaux et pour conclure ajoutait aux tout trois bouteilles de jus d’orange.
Madame Francine, à la regarder, on aurait bien pu croire qu’elle allait étouffer…

Ses joues, son front, son cou, tout en elle était devenu rouge et comme boursouflé.
Son mari de ce temps, ne la regardant pas même, allait dans la réserve et en revenait avec trois autres litres de lait les mettant eux aussi dans le grand panier qui commençait à déborder comme la hotte du père Noël !…

*
Un spectacle !

*
Adélie n’en revenait pas !

Elle ne se souvenait pas avoir jamais vu panier si rempli…

Médusée elle aussi, elle laissait faire l’homme, se rendant bien compte qu’il eut été inutile de le contrarier.
Celui-ci n’avait pas fini…

Il allait dans la vitrine et y prit quelques branches de sapin tout frais et sentant bon la forêt, enlevait quelques boules de Noël de la décoration intérieure du magasin et les ajoutait au reste …
Enfin, pour finir, se tournant vers madame Francine sur le point de défaillir lui demandait d’une voix suave :
– « Dis moi donc Francine, il me semble qu’il nous restait encore une de ces belles bûches de Noël que nous achetions hier pas vrai ?… Nous pensions encore la vendre ce soir mais il commence à se faire tard … »
– « Sûrement !… »
Répondait madame Francine, toute heureuse elle de retrouver son droit à la parole …
– « Sûrement oui qu’il en reste encore une !… Mais nous pourrions très bien encore la vendre demain Gaston !… »
– « Demain … »
Lui répond Gaston d’un ton sans réplique et écartant largement les bras,
– « Demain, Francine, c’est un autre jour !… Et de plus, demain, Francine, c’est le jour de Noël !… De plus, Francine, demain, le boulanger passera nous déposer de nouvelles marchandises !… Tant qu’à faire, mieux vaudra vendre du frais aux clients pas vrai ?… Te plairait-il je te prie d’aller me la chercher cette bûche que tu as rangée derrière en chambre froide ?… Je vais l’ajouter au panier d’Adélie pour finir leur repas de Noël, demain !… Y verrais-tu un inconvénient peut-être ?… »
– « Si j’y vois un inconvénient ? »
Répond madame Francine au comble de la fureur.
– « Monsieur appellerais cela un inconvénient ? Mais mon cher ami, avec tout ce que tu as enfourné dans ce panier, ces gens là, il leur faudra au moins jusqu’au Noël prochain pour nous rembourser !… »
– « Nous rembourser ? »
Réplique monsieur Gaston tout étonné,
– « Nous rembourser ?… Mais, femme, tu n’y es pas du tout !!! Je crains que tu n’aies pas compris !… Il ne s’agit nullement de remboursement ni de crédit !… Ce sont des cadeaux de Noël que j’offre à « ces gens » comme tu le dis !… Veux-bien je te prie aller chercher cette bûche !?… Nous n’avons déjà que trop tardé et la maman d’Adélie risque de s’inquiéter … Sur le passage, voudrais tu bien me rapporter aussi mon manteau ?… Je vais lui faire un pas de conduite à cette enfant, le panier est bien lourd, elle ne pourra jamais arriver à bon port. »
Se tournant vers Adélie il ajoute :
– « Tu porteras la bûche petite, c’est plus délicat … Et léger … »
Retournant vers le comptoir il prit alors le ticket de caisse, le donnait à Adélie prenant soin de lui rendre aussi sa monnaie.
Toute éberluée, ne sachant plus que croire ni voir, Adélie prenait le reste de son argent. Constatant qu’il y en avait presque tout autant que quand elle arrivait elle dit à monsieur Gaston …
– « Il y en a assez encore monsieur Gaston, prenez donc le tout ! »
– « Un cadeau, petite, ne se paye pas, il se donne !… Avec le cœur !… Garde donc tes sous, tu iras demain matin chez le boulanger chercher un bon pain frais pour la journée … Et le reste, ma foi, tu pourras l’économiser pour d’autres usages. »

*

*
Regardant vers l’étalage, Adélie avisait une belle couronne de Noël toute faite de rubans rouge et or …

Elle l’avait déjà bien des fois admirée le matin en partant pour l’école et c’était dit que ce serait fort joli comme décoration de Noël.

Tout y était …

Les branches, les boules, les rubans, et même huit jolies bougies plantées dessus à intervalles réguliers …

Voilà une jolie chose qui ferait plaisir à maman.

Et la couronne pourrait resservir l’an prochain …

Ce ne serait pas vraiment un achat vain…

*

*
– « Alors monsieur Gaston, je vais acheter la couronne qui se trouve dans la vitrine. Je l’aime beaucoup. Je suis sûre que maman l’aimera aussi. Elle est vraiment très très belle. Puis-je l’acheter oui ? »
– « Ah mais écoute, si tu penses que cela pourrait te convenir, pourquoi pas ?… Attends, je vais la prendre. »
Et s’arc boutant contre l’étalage, monsieur Gaston se saisit à deux mains de la couronne, la faisant passer par-dessus les produits exposés.
– « Je l’ai décorée moi-même jeune fille ! »
Dit-il tout fier à Adélie.
– « Et l’an prochain tu pourras t’en resservir, il te suffira de remettre des branches de sapin toute fraîche. Le reste des décorations tu les garderas et tu les replaceras … »
– « Oh !… »
Dit Adélie tout séduite,
– « Il y même des clochettes dorées !… Je la poserais en milieu de table et j’allumerais les bougies à minuit pour le Noël !… Comme je suis contente ! »
Dit-elle en battant des deux mains.
– « Alors je suis content moi aussi ! »
Dit monsieur Gaston.
– « Combien pour la couronne monsieur Gaston ? »
– « Il t’en coûtera 7 euros mon enfant, c’est son prix produit fini. »
Reprenant ses sous dans sa poche Adélie compta minutieusement son argent et donnait le compte juste à l’épicier.

*

*
– « Il y en a des choses à transporter ! »
Dit-elle d’une voix tremblante d’émotion.

Jamais il ne lui était arrivé de n’avoir pas assez de bras pour porter toutes les emplettes !…

Vraiment, c’était la fête.
– « Pourvu que maman se réveille, pourvu que maman aille mieux tout à l’heure, pourvu qu’ensemble nous puissions faire la fête et profiter de toutes ces bonnes et jolies choses que je vais lui ramener. »
L’enfant était au comble du ravissement mais tout de même dans son cœur restait une brûlante lame d’inquiétude. Ah, si maman pouvait bien vouloir revenir de là où elle se laissait glisser. Ce serait si bien ensemble ce soir, et tous les soirs de la vie à venir.

*

*
Entretemps madame Francine revenait avec le carton de pâtisserie à bout de bras et le manteau de son mari jeté par au dessus.
– « Mauvaise !… »
Lui dit monsieur Gaston avec un ricanement en la voyant arriver …
– « Tu mets mon manteau sur le carton dans l’espoir d’abîmer la bûche ?… Bah, le carton est solide, tu en seras pour tes frais. »

*
Enfilant son vêtement il attrape le panier.
Se ravisant, il le dépose, ouvre la boîte de pâtisserie pour s’assurer que la bûche est bien dedans … Sait on jamais … Enfin, il referme le carton, met autour un joli ruban et le donne à Adélie qui le prend avec d’infinies précautions sur le plat de ses deux petites mains …
Le grand cabas dans une main et la couronne dans l’autre, monsieur Gaston suivait Adélie et ils sortirent du magasin…

Et c’est ainsi chargés qu’ils prenaient le chemin vers la maison de l’enfant.

*

*
Sur le retour, Adélie ne dit pas un mot.

Elle se demandait vraiment ce qui lui arrivait …

Abasourdie qu’elle était, éberluée, tout en effervescence aussi.

Serait-ce le père Noël qui aurait manigancé tout cela ?…

Lui qui disait ne pouvoir faire de miracle, la voilà servie !…

Si seulement il pouvait en faire autant pour maman se dit-elle.

*

*
Arrivés devant la maison pourtant son petit cœur se resserre et elle sent sa gorge se nouer. Elle se souvient avoir laissé sa maman couchée comme inconsciente dans son lit et se demande comment elle la retrouvera.
Fouillant prestement sa poche elle en extrait la clé et ouvre la porte.
C’est le moment que choisit la propriétaire pour descendre l’escalier. Voyant rentrer l’épicier à la suite de la petite et chargé d’un immense cabas rempli à craquer d’aliments elle s’arrête, interdite, au bas des marches.
– « Mais … »
S’exclame-t-elle,
– « Qu’est ce donc que tout cela ?… »
– « Des courses madame ! »
Répond, désinvolte, monsieur Gaston qui n’est pas sans ignorer, comme tous d’ailleurs dans le quartier, le caractère peu généreux du cerbère.
– « Des courses voyez-vous !… C’est Noël pour tout le monde pas vrai ? »
– « En effet … »
Répond la propriétaire, essayant d’un sourire forcé d’atténuer l’effet de sa question.
– « C’est Noël pour tout le monde oui !… Mais dites-moi donc, j’espère que l’enfant n’a pas fait crédit ?… »
– « Crédit madame ?… Mais point du tout ! Le crédit, elle le reçoit d’emblée. Car le crédit, voyez vous madame, c’est la confiance et l’estime que l’on accorde aux gens de cœur et de qualité ! En êtes-vous ? »

*

*
Laissant sa question en suspens l’épicier suit la petite Adélie en descendant l’escalier vers le logis où il trouve le médecin assis sur une chaise à la tête du lit de la maman qui elle, réveillée enfin, est à moitié assise, accoudée aux oreillers … Voyant cela Adélie, après avoir précautionneusement déposé le carton de pâtisserie sur la table, se précipite vers elle et la prend tendrement dans ses bras.

*
– « Maman !… Enfin te voilà réveillée… Enfin te voilà revenue !… Comme je suis contente ! Regarde, regarde maman, tout ce que j’ai ramené !… C’est monsieur Gaston !.. Il nous a tout donné pour nous, pour notre Noël !… Imagine maman, imagine !… C’est Noël !… »
S’exclame la petite.

Et se retournant elle cherche des yeux l’épicier, mais celui-ci, sans demander son reste, est déjà parti. C’est ainsi que font les bonnes gens. Ils donnent sans compter et ne demandent aucunement d’en être encensé. C’est cela, la générosité…

*

*
Voyant tout ce déballage de victuailles dans le grand panier, les branches de sapin qui en sortaient, le carton de pâtisserie et la belle couronne posés sur la table le docteur s’esclaffait :
– « Eh bien ma jolie, tu as fait bon usage de ton argent !… Je te félicite et je me réjouis pour toi et ta maman !… »
– « C’est monsieur Gaston docteur … C’est monsieur Gaston, c’est vous … C’est le père Noël aussi … »
Dit l’enfant dans un sourire noyé de larmes tout en caressant le front de sa maman…
– « Bien dis le docteur, très très bien ! Je suis ravi sache le bien !… Et moi j’ai eu de ce temps là une bonne et longue conversation avec ta maman… Nous allons voir ce que nous pouvons faire pour l’aider … A mon avis, il serait peut-être temps de penser à prendre quelque vacances bien méritées … Changer d’air et d’atmosphère … Je vais voir ce que je peut faire pour vous deux … »
– « Des vacances docteur ? »
S’exclame Adélie …
– « Ben disons, des vacances … Pas tout à fait … Mais peut-être une manière de partir en vacances oui, qui sait … Ta maman m’a promis qu’elle allait essayer de remonter le courant … Il faut n’est-ce pas Madame ? »
Dit-il en regardant la mère d’un regard à la fois sévère et bienveillant.
– « Oui docteur, je vais essayer … Je vais essayer oui … Pour moi, pour Adélie … Mais … Vous êtes trop bon … Nous n’avons nulle part où aller … Et nous n’avons guère d’argent, pas même pour nous déplacer. »
Dit la femme d’une voix faible et basse.
– « Nous verrons en temps utile Madame, ce qui importe d’abord c’est que vous fassiez l’effort pour vous remettre debout !… Vivre ! Dame !… Vivre qu’il faut !… Rien n’est facile pour personne nous le savons tous … Mais vous avez là une si gentille petite qui vous adore et vous est toute dévouée … Pleine de talents et de qualités … Elle a besoin de vous !… Si vous ne voulez plus vivre pour vous, vivez au moins pour elle. Le reste suivra … »
Adélie ne comprenait pas trop bien de quoi il s’agissait. Ce qu’elle comprenait c’est que le bon docteur était parvenu à réveiller sa maman, qu’ils avaient beaucoup parlé, qu’il y avait dans la pièce un poêle supplémentaire, elle venait de s’en apercevoir, qu’il y faisait bien chaud et que sur la table et dans le grand panier il y avait de quoi faire un repas de fête … Un repas de Reines pour toutes les deux ce soir et encore demain et encore les jours prochains … Déposant un tendre baiser sur le front de sa maman elle lui dit :
– « Reste là bien au chaud maman, repose toi. Moi je vais ranger, mettre la table, fabriquer le cacao. Tu verras maman, ce soir, pour nous aussi, ce sera Noël !…Un vrai Noël maman !… Tu comprends … »
Alors l’enfant se levait du chevet de sa mère et se mettait à déballer toutes les provisions. Une belle musique de Noël remplissait la pièce et cela lui fit du bonheur au cœur. Elle adorait la musique bien sûr Adélie. Elle est danseuse, ne l’oublions pas.
– « Et moi je vais vous laisser à vos occupations … »
Dis le médecin.
– « Si j’ai le temps ce soir je passerais vous voir mais il m’étonnerait … Le veillée de Noël, curieusement, il y a toujours des malades parmi les petites gens. Mais au plus tard je vous retrouverais demain !… Promis … »
Se retournant vers la mère une dernière fois il lui recommanda d’une voix ferme :
– « Et pas de bêtises n’est ce pas ma bonne Dame !… Vous avez là près de vous une charmante enfant dont le cœur déborde d’amour pour vous !… Et ce soir, quoi qu’il en soit des chagrins, ce soir vous êtes ensemble, il fait chaud, vous avez de bonnes choses pour vous régaler et de belles choses à regarder. Et Adélie se fera un plaisir, je le sais, de vous raconter plein d’histoires de Noël. N’est ce pas petite ? »
Dit le médecin en s’approchant de l’enfant déjà fort affairée aux soins du repas de fêtes qu’elle se promettait de préparer.
– « Oui docteur … »
Répond elle … Et regardant vers sa maman :
– « D’ailleurs maman, avec tout ça, je n’ai pas encore pu te raconter le plus important !… Imagine-toi, maman !… Ce soir, en revenant de l’Académie, j’ai rencontré le père Noël !… Le vrai maman, le vrai père Noël, celui qui vient des pays lointains, là où les arcs en ciel se mélangent à la brume et où le soleil se lève trois fois sur la journée ! »

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Souriant et tranquillisé, le médecin remontait le petit escalier et discrètement s’en allait. Il était certain que ses petites protégées, au moins ce soir, passeraient une belle fête.  Le babillage de l’enfant le poursuivait dans le couloir et jusqu’à la porte d’entrée qu’il refermait derrière lui, le cœur soulagé et l’âme rassérénée. Il faut peu de choses pour rendre heureux tout compte fait se dit-il. Quelques heures de bon vouloir, quelques pièces de monnaie et c’est comme si tout le reste s’enclenchait à la chaîne.

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Demain, il en était certain, il retrouverait la mère et son enfant souriante et confiante.
Une petite voix le lui disait …

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(Suite au prochain épisode … Sous peu … J’y travaille…)

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RED_BAKKARA

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